Yacouba Katilé :«Les partenaires n’ont pas vocation à nous dicter la conduite à tenir»
Dans les lignes qui suivent, le président du Conseil économique, social et culturel (CESC) évoque la situation sociopolitique, les sanctions infligées au Mali par la Cedeao et l’Uemoa. Celui qui dirige également l’UNTM s’exprime aussi sur d’autres questions d’intérêt national
L’Essor : Quelle est votre lecture de la situation sociopolitique du Mali qui se trouve dans une transition depuis août 2020 ?
Yacouba Katilé : Par principe, en tant que républicain, nous ne saurions saluer les ruptures de l’ordre constitutionnel. Mais force est de constater que deux coups d’État en 30 ans, doivent nous conduire à une introspection aigue voire à poser un diagnostic profond sur l’état de santé de notre démocratie.
Il faut passer à la loupe les facteurs endogène et exogène. La démocratie doit favoriser l’instauration d’une gouvernance vertueuse. Une gouvernance qui répond à la demande sociale, porteuse d’une vision qui tient compte de la justice sociale et loin de toutes les formes de corruption. D’où l’impérieuse nécessité de repenser notre système démocratique. Et ce, en l’adoptant aux défis et enjeux actuels. Une démocratie qui ne crée pas un fossé entre les institutions et les citoyens.
Les déstabilisations institutionnelles et politiques intervenues en mars 2012 et en août 2020 ont chacune comme tare congénitale, la faiblesse des réponses données par l’élite politique à l’épineuse question sécuritaire et celle de développement durable.
La situation sociopolitique est hélas caractérisée par cette lecture erronée de certains de nos partenaires voire d’une bonne partie de la communauté internationale, qui en lieu et place de nous exprimer leur solidarité, aura plutôt opté pour une autre posture qui consiste à nous asphyxier et nous isoler du reste du monde. Ils font quasiment une fixation sur le chronogramme des élections.
Pour nous, la priorité doit être accordée à la dimension sécuritaire. Aucun développement encore moins, aucun progrès social n’est envisageable sans sécurité. Face à l’évolution de la situation sociopolitique, il nous faut impérativement fédérer nos intelligences et toutes les énergies positives au service de notre dénominateur commun, qui n’est autre que le Mali. Nous faisons sans doute face à une phase décisive de la longue marche de notre pays.
L’Essor : Après les événements du 18 août 2020, la refondation est sans doute l’aspiration majeure des Maliens. Quelle sera la contribution du CESC dans l’édification du Mali nouveau ?
Yacouba Katilé : Nous estimons que le Mali Kura est certes une vision politique, mais est aussi porteuse des valeurs. L’édification du Mali nouveau nous renvoie à la rupture totale avec les pratiques anciennes qui nous ont conduit là où nous en sommes. Somme toute, c’est aussi une invite de chacun de nous, à être un citoyen modèle. Le Mali nouveau passera forcément par des réformes politiques et institutionnelles.
En tant que force de propositions et d’orientations des pouvoirs publics, nous accompagnons les autorités de la Transition. Lors de la tenue des récentes Assises nationales de la refondation (ANR), nous avions contribué largement et avant et pendant les travaux. Nous sommes disposés à jouer toute notre partition quant à la mise en œuvre des recommandations qui en sont issues.
Par ailleurs, en prélude aux réformes politiques annoncées par les plus hautes autorités, nous avons tenu à consacrer le thème de notre 1ère session ordinaire prévue du 7 au 21 février prochain aux «réformes politiques, institutionnelles et sécuritaires : contribution du CESC». Nous entendons ouvrir le débat avec les départements sectoriels et les principaux acteurs des domaines sus indiqués, afin de faire l’état des lieux, mettre le doigt sur les difficultés et dégager des pistes de solutions.
L’Essor : Parlez-nous des démarches entamées par votre institution pour la levée des sanctions que l’Uemoa et la Cedeao ont infligées à notre pays depuis le 9 janvier dernier.
Yacouba Katilé : En tant qu’institution avant-gardiste, nous nous sommes beaucoup activés pour éviter les sanctions. À la faveur de notre visite de travail à Paris, au mois de décembre 2021, nous avons été sur le plateau de plusieurs médias en vue d’inviter la communauté internationale à changer de grille de lecture face à la situation du Mali.
Pour nous, les sanctions sont loin d’être la meilleure des alternatives. Mieux, les populations laborieuses, victimes innocentes qui payent le plus lourd tribut. Le CESC est composé de l’ensemble des forces productrices qui animent tous les segments de développement du pays.
En cas de sanctions, nous sommes les premiers à sentir les répercussions néfastes. En marge des travaux de notre première session extraordinaire, la plénière a adopté une motion spéciale assignant au bureau du CESC la mission de bons offices auprès de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à travers les Conseils économiques et sociaux (CES).
Quand on observe de près, ce qui est intervenu au Burkina Faso corrobore notre analyse.Nous voudrions inviter une fois de plus les partenaires à revoir leur angle d’analyse vis-à-vis de notre pays. Il faut privilégier le dialogue avec les autorités de la Transition pour parvenir à un chronogramme raisonnable.
Les partenaires n’ont pas vocation à nous dicter la conduite à tenir, mais plutôt à nous accompagner. Les élections mal organisées pourraient être le point de départ d’une autre crise encore plus profonde, qu’à Dieu ne plaise.
L’Essor : Lors des Assises nationales de la refondation, certains participants ont émis des réserves sur la nécessité de maintenir le CESC. Qu’allez-vous entreprendre pour davantage expliquer à nos compatriotes le bien-fondé des missions de votre institution ?
Yacouba Katilé : Effectivement, la demande de suppression du Conseil économique, social et culturel revient très souvent dans les débats des réformes politiques. Vous avez raison à juste titre de mettre l’accent sur la communication.
En effet, nombreux sont nos compatriotes qui méconnaissent les missions assignées à cette institution par le constituant. Cette évidence nous interpelle et la 6è mandature, dont l’honneur m’échoit de conduire les destinées, s’évertuera à combler ce déficit.
Pour autant, il ne faut pas perdre de vue, que le Conseil est une Assemblée consultative avec pour vocation d’inspirer l’élaboration des politiques publiques. Ce, par le biais des recommandations avisées et avis motivés. Nous ne pouvons nous substituer ni à l’exécutif non plus au législatif.
La modestie de notre budget, et la vétusté de nos textes constituent un handicap majeur qui entrave le bon fonctionnement de l’institution. C’est pourquoi nous avions dès l’entame de notre mandature, mis le curseur sur les réformes avec la mise en place d’une commission ad hoc.
Les Conseils économiques et sociaux existent presque dans tous les pays à travers le monde. Il existe aussi le Conseil économique et social des Nations unies (Ecosoc). Il en existe aussi au sein de l’Union africaine. Mieux, le CESC de Mali assure la présidence d’honneur de l’Union des Conseils économiques et sociaux et Institutions similaires d’Afrique (Ucesa) et est membre du Conseil d’administration de l’Association internationale des Conseils économiques et sociaux et Institutions similaires (AICESIS).
Le CESC du Mali est la seule institution apolitique qui regorge toutes les couches socioprofessionnelles. Conformément aux dispositions de l’article 107 de la Constitution relatives à la collecte et à l’élaboration du Recueil annuel des attentes, des besoins et des problèmes de la société civile, des missions du CESC ont sillonné du 24 septembre au 8 octobre 2021, des régions administratives du Mali.
Il s’agit de Kayes, Nioro du Sahel, Kita, Koulikoro, Dioïla, Sikasso, Bougouni, Ségou, Koutiala, Mopti, San, Tombouctou, Taoudéni, Gao, Ménaka ainsi que les six communes du District de Bamako. Nous avons été également à la rencontre de nos compatriotes établis à l’extérieur afin de recenser leurs attentes, besoins et problèmes.
Pour la zone Europe, nous avons été en France, en Espagne, en Allemagne et Belgique. Une autre délégation de l’institution s’est rendue dans certains pays africains où réside une forte concentration de Maliens. Il s’agit notamment de la Mauritanie, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Congo Brazzaville et du Cameroun.
La 1ère session extraordinaire de la 6è mandature, tenue du 22 au 26 novembre 2021, a été consacrée à la finalisation et à la l’adoption dudit recueil. Des dispositions sont en cours, afin de le faire parvenir aux plus hautes autorités comme le stipule notre loi fondamentale.
Bien que frappées de plein fouets par le spectre de l’insécurité, avec son corollaire de marasme économique, nos braves populations à l’intérieur du pays, ont été incontestablement soulagées et requinquées par nos missions. Quant à nos compatriotes établis à l’extérieur, ils sont majoritairement confrontés aux difficultés relatives à l’obtention des documents à caractère admiratif donc d’état-civil, la scolarisation des enfants issus de l’immigration et particulièrement l’investissement de la diaspora dans le pays d’origine, le Mali.
Par ailleurs, nous avons constaté au cours des échanges, une sous-information de la diaspora sur les questions ayant trait à l’évolution de la situation socio-politique de notre pays. D’où, par endroit, des exaspérations que notre passage aura contribué de dissiper. Aujourd’hui, il faut plutôt renforcer cette institution qui est par excellence, la courroie de transmission entre les gouvernants et les gouvernés.
Nous avons placé notre mandature sous le signe du renouveau. Nous ne ménagerons aucun effort pour hisser le Conseil économique, social et culturel au rang qui est le sien dans l’architecture institutionnelle. Et ce, en lui rendant toutes ses lettres de noblesse.
Source : L’Essor