VIE PRÉCAIRE DES ENSEIGNANTS DES ÉCOLES PRIVÉES : L’omerta de l’Etat

Dans les écoles privées, les enseignants continuent de vivre toujours dans la misère. Cela fait plusieurs années que cette situation perdure, mais aucune solution efficace n’a été trouvée pour atténuer la souffrance de ces instituteurs qui mettent tout œuvre pour le bien de l’éducation malienne.

Les écoles privées ont poussé ces dernières années comme des champignons sur l’ensemble du territoire national. Cette dernière est réglementée par le ministère de l’éducation nationale qui, en principe, délivre un agrément pour une éventuelle ouverture d’établissement privé. Plusieurs promoteurs outrepassent ce critère et construisent sans autorisation. Une situation à laquelle les autorités tentent tant bien que mal de mettre fin.

Aujourd’hui, plusieurs enseignants des écoles privées crient à l’injustice et à l’exploitation. En effet, contrairement à leur collègue du public, ceux du privé sont payés en fonction de l’heure. Parfois, l’heure est payée au niveau secondaire entre 1250 FCFA et 1500 francs CFA la plupart des cas.

En outre, hormis la période scolaire, les avances ne sont pas prises en charge par 90% des écoles privées, car les promoteurs voient en cela un manque à gagner et des dépenses pour un travail non exécuté. Rares sont les écoles qui payent les 12 mois de l’année, même si l’on y est un permanent.

Le système du mercenariat

Pour joindre les deux bouts, les enseignants qui se trouvent dans cette situation dispensent des cours dans plusieurs écoles afin de bénéficier d’une meilleure rémunération à la fin du mois. Cela consiste à dispatcher ses heures de façon à dispenser des cours pour ne pas dépendre en quelque sorte d’un seul établissement. Comme le dit un proverbe, ‘’il est très dangereux de mettre tous ses œufs dans un panier’’. Craignant de se faire licencier sans préavis et sans indemnités, ces instituteurs sont à la merci de leurs promoteurs qui agissent le plus souvent en toute impunité.

Pour ceux du premier cycle, la question du mercenariat n’est tout simplement pas possible car l’enseignant doit assurer les cours dans une seule classe au cours de l’année scolaire. A ce niveau, dans la majorité des écoles sillonnées, le salaire mensuel varie entre 35.000 FCFA et 50.000 FCFA. Rares sont les établissements qui acceptent d’offrir une rémunération au-delà de ces sommes citées.

Une situation très difficile qu’ils acceptent pour échapper au chômage. Les concours de fonction publique sont très rares et pire, pour y être admis relève du parcours de combattant. Alors, les jeunes qui acceptent de se sacrifier pour ces sommes misérables se disent obligés car ils ont des obligations à remplir.

Les aveux

B.K, enseignant du premier cycle et directeur dans une école privée dénonce sa situation. Titulaire d’un diplôme de maîtrise en géographie, obtenu à la faculté de Bamako, il n’a jamais participé à un quelconque concours. En effet, les concours sont rares pour cette spécialité. « Je suis diplômé depuis 6 ans et je suis resté au chômage trois ans durant. N’ayant pas le choix, je me suis lancé dans l’enseignement. Au départ, mon promoteur me payait à 30.000 FCFA chaque mois », se confie-t-il. Un salaire bien maigre selon notre interlocuteur.

Il avouera qu’avec ce montant, il ne pouvait rien faire du tout après le paiement de son loyer. « Deux ans plus tard, j’ai été nommé directeur et c’est là que mon salaire a un peu grimpé. De 30.000 F, mon salaire est monté à 40.000 FCFA. Une petite augmentation que j’ai acceptée ». Toutefois, il ajoutera qu’en cas d’une meilleure offre, il s’en ira car ce travail pour lui est juste provisoire.

Diakaridia Soumano ‘’un pseudonyme utilisé par la rédaction pour protéger notre témoin’’ demande une intervention de l’Etat. Il qualifie cette situation de vol et estime que les promoteurs abusent de leurs autorités. « Même si ces écoles sont pour eux, ils doivent savoir que nous aussi sommes des humains et des chefs de famille. Je dispense des cours dans trois différentes écoles et je dois dire que la situation est pareille partout », a-t-il pesté.

Notre enseignant mercenaire dira que l’heure lui est payée à 750 FCFA dans une école et 1000 FCFA dans les deux autres. Titulaire d’une maitrise en droit international et disposant d’une maîtrise en Anglais, M. Soumano affiche sa tristesse : « C’est vrai que l’Etat ne nous a pas embauchés, mais, j’estime qu’il doit faire pression sur les promoteurs d’écoles afin que les enseignants soient mis dans des conditions favorables. Lorsqu’on est bien payé, on est beaucoup plus motivé quand on travaille ».

A S, promoteur d’école privé se défend. « Je suis d’accord avec les revendications des enseignants, mais cette situation ne dépend pas de nous. Ça ne nous fait pas plaisir de verser des salaires dérisoires à nos travailleurs mais nous y sommes obligés », a-t- expliqué. Il dira que lors des recouvrements, beaucoup de parents d’élèves ne payent pas convenablement, en dépit des frais de scolarité relativement bas dans son établissement. « Le bâtiment qui abrite mon établissement ne m’appartient pas. Chaque mois, je paie 250.000 FCFA comme frais de location. En plus de cela, je dois payer le matériel nécessaire au bon fonctionnement de l’école et c’est vraiment coûteux », a-t-il ajouté.

Des difficultés qu’il qualifie d’inévitable et qui répercutent sur le salaire de ses travailleurs. Cependant, il dira qu’en cas d’amélioration des conditions, il ajoutera sur les différents salaires pour permettre à ses employés de mieux travailler.

M.K, parent d’élève, tranche en faveur des enseignants, les promoteurs doivent faire des efforts pour donner un meilleur salaire à leurs enseignants. « Nous payons chèrement la scolarité de nos enfants et après le 5 du mois, si tu ne payes pas, ton enfant sera expulsé. Dans ces conditions, les propriétaires d’écoles doivent cesser d’être avares et payer correctement », dit-il.

Pour autant, il qualifie de médiocre le travail des enseignants. « Les enseignants sont recrutés n’importe comment parfois sans une réelle qualification. Cela joue négativement sur le niveau de nos enfants », s’est-il alarmé. Pire, il met l’accent sur les relations parfois intimes entre les enseignants et les apprenants. « Dans beaucoup de cas, dira-t-il, les enseignants entretiennent des relations intimes avec les élèves. Cela va à l’encontre de la déontologie et c’est une honte ».

Une intervention étatique plus que nécessaire

Cette situation ne saurait perdurer, d’où la nécessité d’une intervention des autorités pour établir une certaine parité. Concernant l’enseignement secondaire, l’Etat subventionne plusieurs écoles privées en payant la scolarité des élèves qui y sont orientés. Dans ce contexte, il est tout à fait possible qu’il intervienne. Par ailleurs, un autre problème subsiste. Il s’agit de la présence des enseignants qui sont au compte de la fonction publique dans ces écoles. Plusieurs jeunes diplômés au chômage estiment que ces postes dans le privé doivent leur être exclusivement réservés pour établir la parité. A défaut d’être fonctionnaire, on peut trouver un emploi dans le privé, mais là encore, les fonctionnaires viennent nous en privé, dira l’un deux.

Le taux de chômage force plusieurs jeunes n’ayant pas étudié dans des écoles de formation des maîtres de pourvoir au poste d’enseignants. ‘’La situation oblige’’, affirme Karim, titulaire d’une maîtrise en droit et enseignant de lettres/histoire-géographie dans une école privée de la place.

Les centres d’animation pédagogique et les académies ne semblent pas se préoccuper de cette situation plus que délicate. Pourtant, c’est une poudrière qui risque d’exploser à tout moment. L’éducation qui demeure un pilier dans le développement d’un pays ne doit pas être prise avec autant de négligence. Le manque de niveau chez la plupart des élèves pourrait être le corollaire des recrutements abusifs des enseignants qui parfois n’ont ni la compétence ni l’expérience pour enseigner.

Avec le Mali Kura qui pointe à l’horizon, ce problème doit être pris à bras le corps. La responsabilité de tous demeure engagée dans ce combat.

Ahmadou Sékou Kanta

Source : Miroir Hebdo

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