Sénégal : une nouvelle forme de coup d’Etat ?
Les élections présidentielles prévues pour le 25 février prochain au Sénégal n’auront finalement pas lieu. L’Annonce a été faite ce samedi 3 février par le président Macky Sall, lors d’une brève allocution télévisée alors que la campagne devait officiellement débuter ce dimanche. C’est la première fois depuis 1963 qu’une élection est repoussée dans cet Etat jugé traditionnellement comme un îlot de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest. Après avoir renoncé à un autre mandat suite à des contestations dans tout le pays, on se demande si c’est la nouvelle formule trouvée par le successeur d’Abdoulaye Wade pour faire son 3ème mandat déguisée.
La crise politique qui secoue le Sénégal vient de prendre un nouveau virage. Le président Macky Sall a annoncé le report sine die de l’élection présidentielle du 25 février. Dans un discours à la nation, le président de la République du Sénégal, a pris la décision par décret, de reporter l’élection du prochain président de la république.
Du fondement de la décision de report
Cette annonce est intervenue alors que le lancement officiel de la campagne électorale était prévu pour le dimanche 4 février. Elle fait suite à la validation par le bureau de l’Assemblée nationale, samedi 3 février, de la proposition de loi du Parti démocratique sénégalais (PDS) pour le report du scrutin. En effet, à la suite d’un recours de contestation déposé au Conseil constitutionnel contre la double nationalité de Karim Wade, par Thierno Alassane Sall, leader de la République des Valeurs, le groupe parlementaire Démocratie, Liberté et Changement avait déposé une proposition de loi pour le report de la présidentielle.
Une démarche appréciée par fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Karim Wade, du Qatar où il est en exil depuis plusieurs années, a réagi sur les réseaux sociaux. « Je soutiens totalement cette initiative parlementaire qui vise à corriger les graves défaillances de notre système électoral. Cette proposition de loi permettra de réparer le préjudice subi par plus de 40 candidats écartés de l’élection présidentielle. J’appuie sans réserve cette initiative et je demande aux militants du Parti démocratique sénégalais (PDS), à nos alliés et aux millions de Sénégalais qui se battent à mes côtés de soutenir à leur tour ce report », a-t-il indiqué.
Après avoir examiné le projet de résolution visant la constitution d’une Commission d’Enquête parlementaire, en vue d’éclaircir les conditions de l’élimination du candidat recalé du PDS, le Bureau de l’Assemblée nationale a validé ladite proposition de loi.
Le 24 janvier, les députés du Parti démocratique sénégalais, dont le candidat a été invalidé pour cause de double nationalité après avoir passé avec succès l’étape des parrainages, ont déposé une demande de mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire. « Nous ciblerons les problématiques de conflits d’intérêts, de corruption présumée, de violations flagrantes et manifestes du secret des délibérations du Conseil constitutionnel et de collusion entre certains membres dudit Conseil et des candidats », indique un communiqué du parti publié le mercredi 24 janvier.
Les membres du Conseil constitutionnel ont dénoncé, en réaction à ce qui précède, à travers un communiqué publié le lundi 29 janvier, des « accusations graves et infondées de corruption, conflits d’intérêt et connexions douteuses » contre certains de ses membres. Ils ont appelé à l’éclatement de la vérité et mettent en garde contre une déstabilisation des institutions et une menace sur la paix publique. En conclusion, le Conseil constitutionnel dit « continuer à exercer toutes les missions qui lui sont dévolues par la Constitution et les lois de la République ». C’est dans ce cafouillage qu’est intervenue la décision de report du président Macky Sall. Une décision qui suscite des inquiétudes au sein de la communauté internationale.
Des réactions suite à cette annonce
En réaction à l’annonce du chef de l’Etat sénégalais, plusieurs candidats parmi les 20, qui sont autorisés par le Conseil constitutionnel à cette présidentielle, ont annoncé qu’ils vont démarrer leur campagne électorale comme initialement prévue. L’opposition au Sénégal a appelé à manifester dimanche à Dakar et prévoit de lancer la campagne électorale comme prévu, rejetant la décision du président Macky Sall. « Nous nous sommes réunis et entendus pour nous rassembler à partir de 15 heures pour démarrer notre campagne électorale de façon collective », a déclaré, sur une radio, Habib Sy, l’un des vingt candidats qui devaient concourir au scrutin du 25 février. « Toutes les forces vives de la nation doivent s’organiser, agir et obtenir la restauration du calendrier républicain », a écrit pour sa part l’intellectuel Felwine Sarr dans une tribune. L’opposant sénégalais Khalifa Sall, un des principaux candidats à la présidentielle, a appelé samedi tout le pays à « se lever » contre le report du scrutin. L’ancienne première ministre Aminata Touré a fustigé sur les réseaux sociaux une « régression démocratique sans précédent » et appelé « les démocrates et les citoyens à se mobiliser pour défendre les acquis démocratiques ».
Au plan international, la situation suscite l’inquiétude. La Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a pris note de la décision des autorités sénégalaises de reporter les élections présidentielles prévues pour le 25 février 2024, indique un communiqué laconique de l’organisation sous régionale, qui par ailleurs, a exprimé son inquiétude face à la décision des autorités sénégalaises de reporter le scrutin. Dans ce même communiqué, la Cedeao a exhorté l’ensemble de la classe politique sénégalaise à privilégier le dialogue et la collaboration pour des élections transparentes, inclusives et crédibles. Elle a en outre félicité le président sénégalais, Macky Sall, pour avoir respecté sa décision antérieure de ne pas briguer un autre mandat et l’a appelé à continuer à défendre et à protéger la longue tradition démocratique du pays.
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Les États-Unis et la France ont également lancé des appels pour le respect du calendrier républicain, après l’annonce faite samedi par le président Macky Sall. Le ministère français des affaires étrangères a exhorté les autorités sénégalaises à mettre fin à l’incertitude concernant l’élection présidentielle qui devait avoir lieu dans trois semaines. Il a demandé que l’élection se tienne dans les plus brefs délais. En vertu du code électoral sénégalais, 80 jours au moins doivent s’écouler entre la publication du décret et l’élection, ce qui signifie que celle-ci ne pourra avoir lieu au plus tôt qu’à la fin du mois d’avril.
Les Etats-Unis se sont dits « profondément préoccupés » par l’annonce du président Sall, a fait savoir le département d’Etat samedi. « Nous exhortons tous les participants au processus électoral sénégalais à s’engager pacifiquement dans l’effort important visant à fixer rapidement une nouvelle date et les conditions d’une élection libre et équitable », a-t-il déclaré.
« Nouvelle forme de coup d’Etat»
Cette situation plonge à nouveau dans l’inconnu le Sénégal réputé comme un exemple de stabilité démocratique en Afrique, mais qui a connu depuis 2021 différents épisodes de troubles, parfois meurtriers. L’idée qui a traversé tous les esprits à l’annonce de ce report est de savoir s’il ne s’agit pas d’une stratégie de Macky Sall pour opérer en douce un coup d’Etat afin de se maintenir au pouvoir. On se rappelle que le président sénégalais avait voulu un moment briguer un 3ème mandat avant d’en être empêché par la pression et la contestation populaire. Il avait alors renoncé à cette ambition. Mais comme on le dit, l’assassin revient toujours sur le lieu du crime. Avec le vent de 3ème mandat qui souffle actuellement en Afrique, il n’est pas exclu que ce report soit la marque déposée de Macky Sall pour déjouer les calculs. Puisque de report en report, il pourra facilement s’offrir un mandat supplémentaire sans tambour ni trompette.
SOURCE: lanouvelletribune