Que penser du projet de Constitution ?
Le Chef de l’État a présenté officiellement le projet de Constitution qu’il porte et qu’il compte soumettre au peuple. Cette décision lance officiellement le processus devant nous conduire au prochain referendum constitutionnel. Il est de ce fait souhaitable que chaque malien se saisisse de cette question et se fasse son opinion avant de voter le moment opportun.
Depuis plus de vingt (20) ans, le pays cherche à modifier sa constitution, ce qui sous-entend qu’il y a des raisons objectives à cela. Il n’est pas besoin d’être expert pour connaitre les nombreuses difficultés posées par la Constitution de 1992.
D’un point de vue général, sans tomber dans un juridisme incompréhensible par le commun de nos compatriotes, faire des modifications de l’ancien texte ou rédiger un nouveau ne conduit pas à des différences de fond au plan du contenu du texte. Il est souhaitable de se focaliser plutôt sur l’essence du texte que d’épiloguer indéfiniment sur la forme de la révision.
La réforme constitutionnelle a été prévue dans la Charte de la transition et figure en bonne place dans le chronogramme validé par les Maliens et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Dans le même sens, le débat sur la légitimité ou non des autorités de transition pour conduire ce projet, n’est pas non plus pertinent. La Constitution de 1992 souvent revendiquée par ceux qui s’opposent à la conduite de la réforme par la transition actuelle, a elle-même été rédigée pendant une transition. La réforme constitutionnelle est portée également par la CEDEAO et la Communauté internationale. De ce fait, ce débat n’a plus lieu d’être. La transition actuelle est fondée à reformer la Constitution, surtout que le peuple, qui est au-dessus de tout y compris selon la Constitution de 1992 elle-même, sera sollicité pour se prononcer sur le texte ainsi élaboré.
Il nous parait d’ores et déjà utile de mettre en évidence ce qui peut être considéré comme étant des aspects positifs de l’actuel projet, mais également les insuffisances que nous avons identifiées. Ce qui peut contribuer à éclairer nos compatriotes en perspective de leur choix.
Il n’est pas possible de relever toutes les caractéristiques du texte. Il sera mis l’accent sur les éléments qui apparaissent significatifs et impactants. Notre ambition vise à éclairer nos compatriotes en perspective de leur participation au referendum sur la Constitution.
Le Projet contient des points positifs
Plusieurs éléments positifs sont à retenir du projet de Constitution. Le texte a été rédigé au Mali par des Maliens, dans un temps relativement court, cela signifie que rien n’est au-dessus de nos moyens au niveau interne. Les compétences nationales sont souvent suffisantes pour répondre aux défis de l’heure quels qu’ils soient. La consécration des droits de l’homme dans le texte est un signal très fort lancé par les autorités, car cela est la base de toute vie collective. Les individus, nos concitoyens doivent être assurés que leurs droits sont protégés et garantis par les dépositaires du pouvoir.
La création de la Cour des Comptes était attendue depuis fort longtemps, le Mali étant en retard sur tous les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) sur ce projet destiné à promouvoir la bonne gouvernance. On aurait néanmoins pu trouver une autre formule pour la désignation de ses membres (le Parlement avec les corps de contrôle et les magistrats) en dehors de l’exécutif dont il juge les comptes (article 162).
La création du Sénat permet d’offrir un cadre de représentation aux autorités traditionnelles et religieuses ainsi qu’aux collectivités territoriales. Cette institution renforcera les capacités du parlement en faisant appel à certaines personnalités ayant servi le pays. Les diversités maliennes trouveront ainsi un parlement, où elles seront mieux traduites. L’instauration du Sénat est de nature à contribuer à la stabilité politique du pays.
La destitution du Président de la République, prévue par l’article 73, est une innovation positive qui permet de faire contrepoids aux pouvoirs supplémentaires qui lui sont donnés par rapport à la Constitution de 1992. Cela est positif et permet de donner de l’importance au Parlement. La limitation claire des mandats présidentiels éloigne les perspectives de troisième mandat dans notre pays. La limite d’âge supérieure est bonne (article 46), il faut que le Président soit en phase avec l’écrasante majorité du pays qui a moins de trente-cinq (35) ans. Il doit également pouvoir physiquement assumer ses responsabilités. La possibilité de poursuivre les Ministres (article 82) devant les juridictions communes est une innovation qui limite l’impunité.
La précision de la laïcité rassurera les deux (02) camps qui se font face sur cette question. Ceux qui craignent que la laïcité ne soit considérée Manifestement certains craignent que ce concept vise à contrarier leurs religions. Une campagne d’explication et de sensibilisation devrait être conduite en leur direction. Contre les religions verront que ce n’est pas le cas même s’il reste encore à régler la question de l’école dite laïque. Ceux qui pensent à une menace de République Islamique verront que l’État fait le choix de la neutralité et de l’équidistance joignant en cela la grande tolérance de la société malienne.
La reconnaissance de l’importance de la société civile est une avancée positive de la Constitution, car il n’y a pas de démocratie sans une société civile forte et indépendante, et qui joue un rôle absolument indépendant de tout autre pouvoir politique.
La question des langues officielles (art 31) est une position de principe, il convient d’attendre la loi organique qui va fixer les conditions et les modalités d’emploi des langues nationales comme langues officielles. Il faut néanmoins saluer le principe de considérer toutes les langues nationales sur le même pied d’égalité, ce qui est consacré dans la politique nationale des langues.
Au niveau des députés, il est désormais prévu la présence des maliens de la diaspora dans l’assemblée (article 96), cela est un apport majeur accepté par tous.
La sanction de la transhumance politique est une bonne chose (article 106). Il faut noter que des chantiers doivent être ouverts pour lutter contre ce phénomène à d’autres niveaux (Gouvernement, administration…).
La notion de délais à respecter pour rédiger les décisions de justice (article 131) est une excellente chose qui peut fonder la mise en place de dispositifs contraignants pour rendre et rédiger les jugements. Cela atténuera la souffrance de milliers de nos compatriotes qui sont pénalisés par les lenteurs de la justice.
Il y a malheureusement des aspects négatifs à déplorer
De nombreuses insuffisances de forme ont été relevées par plusieurs observateurs avisés. Il faut espérer que ces observations pourront être prises en compte. Quelques faiblesses majeures pénalisent toutefois la pertinence du projet des autorités de la transition: Trop de pouvoirs sont donnés au Président, ce qui vide le régime institutionnel de tout équilibre indispensable à la démocratie. Le Président garde tous les pouvoirs de la Constitution de 1992. En plus, il pourra nommer certains parlementaires ce qui lui donnera encore plus d’ascendance sur eux.
En revanche le Parlement perd le pouvoir de censure du Gouvernement, ce qui le place en posture de vassal de l’exécutif. Ce déséquilibre va focaliser la démocratie malienne sur le Président et les élections présidentielles. Le paysage politique sera configuré en fonction de ce scrutin et autour du Chef de l’État. Cela videra la démocratie de sa vigueur, affaiblira les partis politiques en les discréditant tout en favorisant le renforcement d’un phénomène de cour autour du Président de la République. Ce dernier risque ainsi de tomber dans les travers du passé pour aboutir aux mêmes résultats. L’exécutif a besoin d’être mis sous pression pour travailler, être évalué et suivi avec la possibilité de sanctions, faute de quoi, l’État ne sera pas efficace et les citoyens ne seront pas servis. C’est dans ce sens que nous comprenons la refondation. Le projet a malheureusement pris le chemin inverse.
La lutte contre la corruption qui est pourtant considérée comme une priorité par le projet de Constitution est fortement pénalisée par certaines de ses dispositions. En renforçant l’exécutif qui est le premier vecteur de corruption, face à la justice dont des acteurs sont nommés par les dirigeants du pays, on ne fait que fragiliser le pouvoir judiciaire et donc la perspective de lutte contre la corruption. Ensuite en ne renforçant pas le dispositif de publication des déclarations des biens, on affaiblit ce moyen important de lutte contre la corruption.
Enfin en ne renforçant pas l’indépendance de la justice à travers l’autonomie du Conseil Supérieur de la magistrature par rapport au pouvoir, on accroît la mainmise de l’exécutif sur la justice. Ce qui risque de favoriser l’impunité des décideurs. Ces signes sont autant de mauvais signaux envoyés par rapport à la lutte contre la corruption.
La décentralisation n’est pas promue alors que le futur du Mali passera forcément par elle ainsi que par le renforcement des Collectivités territoriales. Il aurait fallu dire clairement dans la définition de la République que le Mali est une République décentralisée. Ensuite on devrait mettre les collectivités plus en avant au lieu de les aborder au même niveau que les circonscriptions administratives.
Les Collectivités ne sont pas un mode d’Administration du territoire, elles sont un moyen de fonctionnement de l’État pour être plus efficace au service des populations.
La suppression du nombre de membres du Gouvernement (article 75) est un recul par rapport à la mouture initiale et ce n’est pas le fait de dire qu’une loi organique fixe le nombre de membres du Gouvernement qui changera cela. Chaque régime pourra faire prendre une loi organique fixant le nombre de ministres qu’il souhaite nommer.
Le maintien du pouvoir donné à la Cour Constitutionnelle, selon les cas, d’annuler une élection ou de réformer les résultats est un recul et nous rappelle les heures sombres de 2020. Cela peut plonger de nouveau le pays dans des difficultés. On aurait dû maintenir que le pouvoir de la Cour est d’annuler une élection et non d’en réformer ses résultats.
Au niveau de la révision enfin (art 184 et 185), il est dommage qu’on n’ait pas inséré une procédure de révision plus légère que le referendum pour certaines corrections non importantes de la Constitution. C’est l’absence de ce type de procédure qui a empêché la prise en compte des corrections que tout le monde considère comme positives comme la création de la cour des comptes par exemple. On aurait pu insérer cela et limiter le recours au référendum pour les corrections significatives.
Et maintenant ?
Nos autorités doivent organiser et soutenir l’ouverture de débats dans tout le pays pendant cette phase. Elles doivent vulgariser le texte, créer des espaces de discussions et d’échanges afin que les citoyens se fassent leur propre une opinion et ce de manière objective. Les médias sont à mettre à profit pour organiser des séances d’explication mais aussi de confrontations pour contribuer à éclairer nos compatriotes.
Les acteurs politiques et de la société civile ne doivent pas rester en marge du processus. Ils devraient informer et consulter leurs bases sur l’ensemble du territoire.
Cet exercice démocratique doit être conduit avec la participation et l’implication de tous. Les autorités de la transition doivent y trouver une occasion pour rendre la transition plus inclusive, ce qui aidera à accroitre la participation au referendum.
Enfin, après l’exercice référendaire, quel qu’en soit le résultat, les acteurs politiques et de la société civile devraient tous respecter la décision du peuple et avancer dans la mise en œuvre de la Constitution. C’est aussi cela la démocratie.
Source : Inter de Bamako