Nouvelle loi sur le contenu local au Mali : Défis et perspectives

Les Autorités maliennes, dans la recherche de maximisation des retombées économiques du secteur minier fortement recommandée lors des Assises Nationales de la refondation en décembre 2021, ont initié une relecture du code minier de 2019 qui est complété par une nouvelle loi portant sur le contenu local toutes les deux votées par l’organe législatif de la Transition le 29 Aout 2023 et promulguées par le Président de la Transition le 1er septembre 2023. Si par le passé, les principaux opérateurs miniers se sentaient à l’abris des nouvelles réformes dans le secteur grâce à la clause de stabilité dans les conventions adossées aux anciens codes miniers, la nouvelle loi sur le contenu local semble couvrir l’ensemble des opérateurs miniers.

En effet, la nouvelle loi sur le contenu local dont le décret d’application est en cours d’élaboration pourrait constituer, selon le ministre des Finances, un véritable coup d’accélérateur à une intégration plus poussée des industries minières dans le tissu économique du pays. Deux grandes nouveautés ont retenu notre attention dans la nouvelle loi à savoir l’emploi local et les achats locaux.

I. EMPLOI LOCAL

La nouvelle loi sur le contenu local a introduit trois (3) exigences majeures concernant l’emploi du personnel étranger en termes d’effectif, de masse salariale et de catégorisation. L’article 6 de la loi introduit une double exigence quant à l’utilisation du personnel local et étranger en fonction de l’état d’avancement du projet minier comme suit :

Du début de la production jusqu’à la 3ème Année : le ratio total du personnel étranger ne doit pas dépasser 10% de l’ensemble du personnel et sa masse salariale ne doit pas dépasser les 30%.

De la 3ème à la 6ème Année : l’effectif et la masse salariale du personnel étranger ne doivent pas dépasser les 5% et 20% respectivement de ceux de l’ensemble du personnel.

Après la 6ème Année : réduction systématique pour atteindre la pleine participation malienne.

L’annexe de la loi sur le contenu local prévoit un quota minimum de 95% du personnel local au sein de la direction, du personnel technique et autres personnels courant les phases exploration, développement et exploitation puis un minimum de 97% en phase fermeture. Pour rappel, le rapport ITIE 2021 affiche un total de 13.806 emplois créés par les sociétés extractives au Mali.

II. ACHATS LOCAUX

Les opérations minières constituent une opportunité financière significative pour les entreprises locales si elles sont intégrées dans le processus. En effet, selon le rapport ITIE, les achats des industries extractives auprès des fournisseurs locaux s’élevaient à 691 milliards de FCFA en 20212. Le Ministre des Finances estime qu’avec les deux nouvelles lois (code minier et contenu local), les retombées attendues seront de l’ordre plusieurs centaines de milliards FCFA supplémentaires pour l’économie malienne.

Les nouvelles dispositions pour les entreprises minières en matière d’achats touchent essentiellement les services fournis exclusivement par les entreprises locales, les achats règlementés, les sous-traitants, les achats répétitifs auprès de prestataires étrangers et les assurances.

2.1. Services exclusivement fournis par les entreprises locales

La loi détermine désormais onze (11) types de services qui doivent être exclusivement fournis par les entreprises locales (art.8-4). Il s’agit 1) les services de restauration et de gestion de la base vie du site minier ; 2) les services de transport à destination et en provenance des sites miniers, y compris le transport du personnel ; 3) les services de sûreté ; 4) les levés topographiques, les travaux de terrassement et de génie civil ; 5) les travaux d’aménagement des barrages à boue ; 6) les activités de forages liées à la recherche ; 7) la fourniture des services de production d’énergie thermique ; 8) la fourniture des services de production d’énergie renouvelable; 9) les prestations liées aux études environnementales et sociales ; 10) l’exécution des plans de réhabilitation et de fermeture des sites miniers ; 11) les fournitures des services de transport de minerai.

La loi pose la double condition pour qu’une entreprise de droit malien soit reconnue comme locale à savoir l’actionnariat malien minimum à 51% et le ratio de la masse salariale des maliens à 50% minimum.

2.2. Les achats règlementés

La loi sur le contenu local prévoit en son annexe un tableau récapitulatif de 45 types de services et 16 types de biens dont la fourniture est désormais règlementée auprès des entreprises minières selon le niveau d’avancement du projet (exploration, développement, exploitation et fermeture). Le quota minimum des achats auprès des entreprises locales varie entre 15% et 100% (voir annexe de la loi

2013-041). Les entreprises minières devront désormais tenir une comptabilité des achats par type de biens et services afin de surveiller les ratios prévus par la loi.

2.3. La sous-traitance

La loi dispose désormais que tout sous-traitant étranger qui fournit des prestations de services pour le compte d’une société d’exploitation, est tenu de céder au minimum trente-cinq pour cent (35%) de participation à des associés maliens (art.8-6). La loi ne donne pas les conditions de cette participation et la mise en œuvre de cette disposition serait un défi pour certains sous-traitants de haute technicité comme ceux en charge des forages complexes, des explosifs, des pièces mécaniques, etc. qui sont opérés généralement par des multinationales et qui devront dans un futur proche céder une partie de leur capital social à des Maliens.

2.4. Achats répétitifs auprès de prestataires étrangers

Il est désormais institué que tout prestataire étranger qui fournit des prestations ponctuelles répétitives de services pour le compte d’une société d’exploitation, est tenu de créer une société de droit malien avec au minimum trente- cinq pour cent (35%) de participation pour des associés maliens (art.8-6). La loi ne précise pas le degré de répétition qui sera le facteur déclencheur de l’application de la présente disposition.

2.5. Les assurances

La loi stipule que toute souscription de couverture des risques liés aux activités minières se fait désormais auprès des sociétés d’assurance agréées au Mali. Une réassurance pourrait être souscrite au cas où la couverture excéderait les capacités financières des sociétés d’assurance agréées au Mali. L’opérateur ne pourrait souscrire à une assurance offshore sans l’accord écrit de la Commission nationale des Assurances. Il est à noter dans ce cas des défis qui se présenteront aux opérateurs miniers. En effet la couverture des risques miniers nécessite généralement des compagnies d’assurance assez robustes techniquement et financièrement pour couvrir les opérations dans leur complexité avec les garanties financières qui y vont. Dans le cas d’une demande d’autorisation auprès de la commission nationale des assurances, tout retard dans cette obtention aura une conséquence significative sur les opérations.

III. LES DEFIS MAJEURS

Il est clair que la mise en œuvre effective de telles innovations et exigences dans un pays confronté à de multiples crises comme le Mali serait une véritable prouesse. Plusieurs défis sont à surmonter pour atteindre les effets escomptés de la nouvelle loi tels que la publication du décret d’application, l’engagement des parties prenantes, la disponibilité des ressources, la capacitation des acteurs locaux, la gouvernance des organes de pilotage, le conflit d’intérêt, etc.

3.1. Publication du décret d’application

La loi sur le contenu local promulguée le 1er septembre 2023 attend toujours la publication de son décret d’application pour être pleinement opérationnelle. Plus ce décret sera simple et accessible, plus son application sera facile. Plusieurs points de la loi sont à clarifier et à détailler dans le décret d’application entre autres le mécanisme de déclaration de l’inexistence au Mali de prestataires pour un service donné, la définition exacte de la pleine participation malienne pour les opérations de plus de 6 ans, les critères du caractère répétitif de fourniture par un prestataire étranger, les mécanismes de médiation et de recours pour les entreprises minières en cas de sanctions, les sanctions sur le non-respect des quotas du personnel, les prérogatives des organes de contrôles, les détails sur le fonctionnement de la plateforme d’intermédiation, la gestion du conflit d’intérêt, etc.

3.2. Engagement des parties prenantes

La promulgation de la présente loi a donné lieu à beaucoup de réactions des parties prenantes dont certaines ont affiché de l’engouement et de l’espoir de voir la relance de l’activité économique du pays longuement éprouvé par de multiples crises de ces dernières années. Cependant les entreprises minières qui seront la pièce maitresse de la mise en œuvre de cette loi affichent quant à elles une certaine préoccupation face aux multiples exigences dont la mise en œuvre pourrait couter non seulement en termes financiers, mais aussi en termes d’efficience dans les opérations. En effet, le fait de réadapter sa chaine d’approvisionnement, de mettre à jour l’actionnariat de ses sous-traitants, etc. pour une grande opération minière n’est pas une mince affaire surtout avec les risques de perte de qualité et leur répercussion sur les opérations. Beaucoup d’entreprises minières bénéficiaient des économies d’échelles sur les achats groupés au sein de leur Groupe. La présente loi impliquera un réajustement de ce processus et éventuellement des couts d’approvisionnements plus élevés. L’Etat gagnerait à disposer d’un cadre souple, simple et coopératif afin de bénéficier d’un accompagnement durable de toutes les parties prenantes. Le cadre devra bien définir les rôles, responsabilités, limites et recours des parties dans ledit processus.

3.3. Les ressources humaines

L’exploitation minière industrielle au Mali date de plusieurs décennies grâce essentiellement à l’expertise étrangère dont les nationaux ont pu bénéficier dans diverses spécialités. Pour autant, la question mérite d’être posée si le Mali dispose aujourd’hui d’un vivier suffisant de compétences pouvant tenir en main cette industrie très exigeante en mettant en œuvre les nouvelles dispositions de la présente loi c’est-à-dire la gestion 100% par les locaux au-delà de 6 ans d’opérations. Cela relèvera d’un véritable défi quand on sait que les exigences requises sont très rigoureuses pour maintenir les standards de bonne performance, de capacité managériale et de respect des normes dans les organisations. La durabilité d’un tel processus dépendra de l’engagement des entreprises minières, du perfectionnement continu des ressources humaines, de l’adaptation des structures de formations aux réalités du terrain et surtout de l’accompagnement des autorités.

La loi ne prévoit pas de dérogation pour le cas des projets d’expansion nécessitant généralement une expertise étrangère ; non plus le cas de changement d’operateur dans une mine qui nécessite forcément une implication accrue du repreneur dans la prise de contrôle des opérations avec l’implication du personnel étranger.

3.4. La capacité des entreprises locales

L’économie malienne est connue pour avoir un secteur informel très prépondérant (entre 40 et 60% du PIB). Ceci implique une présence accrue d’entités informelles, opérant sans s’exiger un minimum de professionnalisme et de respect des règles et normes requises dans la conduite efficace des affaires. Amener ce secteur à être le pourvoyeur principal dans les opérations minières qui ont un degré élevé d’exigence en qualité et normes s’avèrerait être un défi immense qui passera certainement par un processus progressif de reconditionnement des entreprises locales avec plus de formalisation, de professionnalisation des opérations et de la gouvernance, de renforcement des contrôles, de facilitation d’accès aux financements, etc.

Pour ce qui est de l’accompagnement, la loi n’a pas fait cas de mesures pouvant renforcer les capacités des entreprises locales comme des formations continues, la mise en place des fonds de garanties ou de facilité de financement.

3.5. La plateforme d’intermédiation

La présente loi n’a pas donné les détails de la future plateforme d’intermédiation qui sera le point de rencontre des offres et demandes et surtout une base de données des fournisseurs par type de métiers à l’image de celle de certains pays qui l’ont déjà déployé. Ce sera sur cette plateforme que les entreprises minières exprimeront leurs besoins et exposeront leur plan d’approvisionnement afin de faire réagir les potentiels fournisseurs qui proposeront leurs services. Ce volet représentera le pan le plus important à la réussite du processus et devra être pris avec le plus grand soin en termes d’infrastructures numériques et de gouvernance. L’autre défi sera la gestion de ladite plateforme, notamment les processus d’accès, d’inscription, de radiation, de consultation, etc. Dans certains pays, cette plateforme sert également d’intermédiation pour l’offre et la demande d’emplois dans le secteur minier.

3.6. La gouvernance des organes de pilotage

La loi prévoit deux organes pour la mise en œuvre et le pilotage de la politique de contenu local à savoir :

Le Cadre de Concertation sur le Contenu Local (CCCL) qui sera chargé d’élaborer et de suivre le document de stratégie du Contenu Local qui définit les modalités d’exécution des orientations de l’État en la matière. Il sera rattaché directement à la Présidence de la République. Ce rattachement dénote de l’importance accordée au processus par les Autorités. Etant l’organe qui élaborera les politiques et stratégies du contenu local, la désignation de ses membres devra tenir compte des considérations des parties prenantes majeures dans le processus. Par exemple au Sénégal, le CNSCL qui est l’organe similaire au CCCL est composé des représentants de l’Administration publique, du secteur privé, de la société civile et des syndicats.

Le Secrétariat Permanent du Contenu Local (SPCL) qui sera l’organe d’exécution du Contenu local et va s’assurer du respect de l’intégralité des mesures auxquelles sont assujetties les Opérateur miniers intervenants directement ou indirectement dans le secteur des mines.

La réussite de leurs missions dépendra du degré de définition des rôles, responsabilités et limites des personnes ; de la qualité des ressources humaines qui animeront ces organes surtout leur compréhension du processus et de leurs méthodes de travail ; de la disponibilité des ressources matérielles et financières ; de l’efficacité de leurs outils de travail ; etc.

La loi ne précise pas le mécanisme de financement de ces organes. Ces deux organes ainsi que leurs membres doivent être loin de tout conflit d’intérêt et abus de pouvoir en prenant part ou en influençant les processus de sélection.

3.7. Le conflit d’intérêt – les influences extérieures

Nous soulignons deux menaces majeures à la réussite et durabilité du présent processus qui sont le conflit d’intérêt et les influences extérieures. Les processus de sélection doivent obéir à des règles de transparence et d’équité offrant une égalité de chance aux prétendants afin que les offres les plus compétitives soient celles qui sont retenues. Ce processus doit être documenté et auditable à tout moment au niveau des entreprises minières. Les acteurs impliqués dans ce processus doivent obligatoirement déclarer tout conflit d’intérêt susceptible et se tenir à l’écart du processus le cas échéant. Il en est de même pour les membres des organes de pilotage (CCCL et SPCL) qui ne doivent en aucun cas user de leur influence pour imposer ou favoriser un choix en dehors des règles. Les potentielles influences politiques et administratives doivent être proscrites et les entreprises doivent garder le libre choix des partenaires en toute transparence. Le décret d’application devra prévoir une disposition sur le conflit d’intérêt et les influences extérieures pour que le processus soit bien cadré.

En conclusion, la nouvelle loi sur le contenu local offre de nouvelles perspectives pour l’économie nationale à travers les nouvelles opportunités qui s’ouvrent. Mais pour que cela soit pleinement efficace, un travail préalable de pédagogie, de légifération, de capacitation et de mise en place de ressources sera nécessaire.

Dr Camara

Docteurcamara2023@gmail.com

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