LUTTE CONTRE LES STUPÉFIANTS: La consommation du tramadol en constante hausse en Afrique de l’ouest
Durant de longues années cependant, s’est développée dans nos pays une consommation locale croissante de drogues tirée à la fois par l’émergence d’une classe moyenne et une politique de l’offre des mafias, notamment nigérianes, contrôlant le trafic dans la sous-région. Mais, de nos jours, plusieurs pays d’Afrique de l’ouest sont de plus en plus confrontés à une forte hausse de la consommation d’autres produits, dont le tramadol. Parfois acheté dans les officines pharmaceutiques, plus souvent obtenu hors des circuits officiels (et éventuellement contrefait ou falsifié), ce produit n’est pas une spécificité de l’espace ouest-africain. N’empêche, son usage s’y est considérablement développé depuis quelques années, notamment au Sahel.
Ces derniers mois, les antennes de l’Office central des stupéfiants (OCS) ont multiplié les saisies de drogues dans notre pays, notamment le tramadol. Ainsi, en juillet, l’antenne OCS de Bougouni a mis aux arrêts un présumé dealer et son complice. Dans la foulée de l’opération, une perquisition faite au domicile du suspect a permis de découvrir 190 plaquettes de tramadol, soit 1900 comprimés, 140 comprimés de diazépam et 20 sachets de mirage. Et il ne s’agit que d’une saisie entre autres.
Selon l’Institut français des relations internationales (IFRI), plusieurs saisies témoignent de l’importance de la circulation du tramadol dans notre sous-région ces dernières années. Ainsi, entre février et octobre 2012, 24 conteneurs transportant près de 130 tonnes de ce produit ont été interceptés au Bénin, au Ghana, au Sénégal et au Togo. Deux ans plus tard (en 2014), les services mixtes de contrôle portuaire de Cotonou (Bénin) et Tema (Ghana) saisissaient plus de 43,5 tonnes.
Ces saisies, si elles se concentrent dans les ports du golfe de Guinée, sont loin de s’y limiter. En janvier 2016, la police nigérienne découvrait 7 millions de comprimés. Une prise record dans un pays considéré comme la principale destination des comprimés déchargés au Bénin ou au Ghana mais où les saisies sont généralement de faible ampleur.
Une particularité des comprimés saisis en Afrique de l’ouest est leur dosage. Loin des 50 milligrammes habituels dans les pharmacies, les emballages (à l’iconographie évoquant la force, la vitalité ou la vigueur) mentionnent 100, 200, 250 milligrammes de substance active… La plupart du temps, ce tramadol vient d’Inde qui a développé une industrie pharmaceutique importante au moment de la reconnaissance légale des médicaments génériques dans les années 1970 et qui est un acteur mondial majeur pour les médicaments contrefaits. Selon l’Organe international de contrôle des stupéfiants, du tramadol viendrait aussi de Chine.
De même, des soupçons existent sur une production locale au Nigeria. Si selon des sources officielles, il n’existe pas de données fiables sur la consommation de drogues en Afrique de l’ouest. Cependant, des observateurs estiment que l’usage abusif de tramadol a fortement augmenté, notamment au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Depuis quelques années, dans la ville de Gao par exemple, un nombre croissant de jeunes (hommes et femmes) consomme des comprimés acheminés du Niger.
Son coût est le principal facteur qui explique ce succès. Au Sahel par exemple, le comprimé est généralement vendu entre 10 et 50 F CFA selon les pays, soit un montant bien inférieur aux dérivés de la cocaïne et de l’héroïne. Des écarts importants sont toutefois observables selon le lieu et la demande : dans les sites miniers du sud du Mali, le comprimé coûte 150 à 200 F CFA ; sur les plateaux du Djado (région d’Agadez, Niger), où s’est développée une importante activité d’orpaillage depuis 2014, il se négocie jusqu’à 1 000 F CFA.
Une drogue très prisée dans l’espace scolaire et académique
Selon l’Ifri, quatre autres facteurs peuvent également être avancés, notamment la perception associant le tramadol à un médicament ; la facilité de transport et de dissimulation ; la disponibilité dans les «pharmacies par terre» ; les sanctions moins sévères pour le possesseur de tramadol que le possesseur de drogue.
Deux modes de consommation sont généralement observées. Primo, il y a une consommation collective, principalement par des jeunes (regroupements festifs, travaux collectifs, pratiques toxicomanes de groupe…). Secundo, il y a une consommation individuelle souvent indépendante de l’âge (augmentation de la force ou de l’endurance pour un travail physique, résistance à la chaleur, recherche de performances sexuelles…). «Le tramadol est une drogue largement utilisée dans les écoles et les élèves se disent que cela ouvre l’esprit», a observé Mariam Diallo Zoomé, secrétaire permanent du Comité national de lutte contre la drogue (CNLD) burkinabé. Une tendance loin d’être spécifique au Burkina Faso. Au Niger, plusieurs écoliers et étudiants ont été interpellés en possession de comprimés ces dernières années.
Les prises répétées de tramadol provoquent une dépendance. Pour éviter des maux de tête et des douleurs aux articulations, pour que les effets antidouleur ou euphorisants de la molécule continuent d’être perceptibles, les doses doivent être régulièrement augmentées… Outre, la dépendance qu’il génère, le tramadol peut entraîner diverses complications dont des crises convulsives. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ces convulsions sont souvent liées à un facteur de prédisposition tel qu’une épilepsie, un syndrome de sevrage alcoolique ou médicamenteux voire un traitement antidépresseur.
Les indices d’une consommation en explosion sont nombreux
Ces effets toxiques peuvent toutefois être directement provoqués par le médicament, le surdosage entraînant une bradycardie (une maladie qui se caractérise par un rythme cardiaque trop lent), des convulsions, une dépression respiratoire… un coma. La forte consommation de tramadol a aussi des incidences sur l’ordre public du fait de ses effets secondaires comme les étourdissements, la sensation d’euphorie, l’agitation, l’anxiété et les hallucinations… contribuant notamment à altérer le rapport à la peur et à la douleur.
Si l’OMS n’a pas placé le tramadol sous contrôle international, l’attention tendant généralement à se focaliser davantage sur la cocaïne, l’héroïne ou les méthamphétamines, les saisies et les indices d’une consommation en explosion ne doivent pas faire oublier cette «cocaïne du pauvre». D’ailleurs, le Nigeria l’a d’ailleurs placé sous contrôle national en 2010, tandis que le Niger réglemente sa vente et sa consommation depuis décembre 2013. «Cette approche normative ne constitue toutefois qu’une étape d’une lutte qui doit reposer sur une mobilisation de la société civile et des campagnes de communication sur les risques liés à la consommation de tramadol», souligne un rapport de l’Ifri.
Encore que ces mesures risquent d’achopper sur deux écueils. Le premier est que la consommation de stupéfiants renvoie à une «radicalité de la survie» ; le second est lié à un besoin accru de données et d’études sur les différents produits consommés, leurs perceptions et les pratiques de consommation pour à la fois sensibiliser la société civile, les acteurs nationaux et renforcer la capacité des administrations spécialisées et des organisations internationales à apporter des réponses à la toxicomanie fondées sur des données.
Dan Fodio pour Maliexpress.net