La transition dans l’impasse : L’UNTM de Katilé en action

L’adoption d’une grille salariale uniformisée pour l’ensemble des fonctionnaires à l’issue du Conseil des ministres du 30 juin 2021, voilà la bonne nouvelle du nouveau Premier ministre Choguel Maïga, dès le lendemain 1er juillet à 10 heures aux représentants des enseignants réunis à cet effet à la Primature. La loi de 2018 qui accordait un statut particulier à certains ordres d’enseignement, entrée en application seulement depuis octobre 2020 avec la Transition, se trouve donc abolie. Cette Transition que, le 18 août 2020, jour du coup d’Etat du CNSP, feu Brahim Ould Sidati de la CMA avait promis de ne pas frapper (comme les djihadistes en 2012) parce qu’elle était un homme à terre, Choguel et Katilé la feront plier, au nom de « l’équité et de l’apaisement du climat social ». D’autant plus facilement qu’il y a, semble-t-il, deux harmonisations en chantier : celle du civil, engagée par Katilé, et celle de l’armée, révélée par Assimi lui-même à l’occasion du coup d’Etat du 24 mai. D’où l’inclusion du personnel militaire dans la nouvelle grille. La conférence sociale que Ouane avait projetée pour aplanir les avantages excessifs et illégitimes du personnel de l’Etat est conjurée, ou si elle a lieu, ses conclusions seront circonscrites, sans gravité pour les barons d’un régime qui perdure, celui d’IBK et de Boubou, qui peuvent  dormir tranquilles, tandis que Bah N’Daw et Moctar Ouane sont en résidence surveillée.

Une loi ? Mais les honorables députés peuvent toujours voter son contraire !

 

La menace que l’Office Central de la Lutte contre l’Enrichissement Illicite (OCLEI) faisait peser sur les dirigeants de l’UNTM, un des principaux motifs de la grève (il y en a sûrement d’autres) appartient désormais au passé. Les magistrats l’auraient levée. Choguel, censé pourtant représenter le M5 RFP, n’en a cure. Les travailleurs maliens, qu’on a appâtés avec un discours moralisateur sur l’équité et l’harmonisation, eux, sont indifférents à ces combats de géants. Cependant,  pourquoi ne pas profiter de la démission d’IBK, de la banqueroute du Mouvement démocratique sur la scène politique pour fonder une IVe République sous-tendant le Nouveau Mali, où le fonctionnaire ne serait pas un milliardaire, mais un simple serviteur de l’Etat, comme les ministres norvégiens, qui n’ont pas de voiture de service personnelle, qui se déplacent en bus et non en taxi ? Des magistrats volontaires sans salaire ou avec un traitement symbolique serviraient sans doute mieux la justice, ayant un engagement votif, sacerdotal. Car aucune prime, si élevée soit-elle, sans la conscience du devoir, ne peut contrebalancer l’offre du corrupteur, plus élevée par définition. Katilé et ses amis envoient un signe pas du tout rassurant, quand ils se réconcilient avec les magistrats après un échange d’invectives sur les réseaux sociaux à propos d’un texte de l’OCLEI par lequel ils s’estiment visés et dont ils demandent la modification pour se mettre à l’abri. Et, lorsque, pleins de commisération pour les petits et moyens fonctionnaires, ils veulent procéder à l’équité dans les grilles salariales, ils ne touchent pas aux primes et indemnités, bien que, chez les magistrats, une seule de ces primes puisse valoir cinq fois le montant du traitement lui-même.

Aucune loi n’a fait l’objet d’autant de résistance, à part l’Accord d’Alger, qui n’est d’ailleurs pas encore ratifié. Il s’agit de la loi n°2018-007 du 16 janvier 2018 connue sous le nom « d’article 39 », puisque c’est là son essence. Cet article dit que « toute majoration des rémunérations des fonctionnaires relevant du Statut général s’applique de plein droit au personnel enseignant de l’Enseignement secondaire, de l’Enseignement fondamental, et de l’Education préscolaire et spéciale ». On peut prendre une loi subrepticement, l’appliquer ou ne pas l’appliquer dans l’immédiat, selon les circonstances, mais toujours avec une date précise d’entrée en application, au besoin celle de sa signature. Ce fut le cas de la loi n°2012-017 du 2 mars 2012 portant organisation administrative, création de dix-neuf régions administratives avec le District de Bamako, qui ne fut connue du public qu’en 2016, lors de l’érection des villes de Ménaka et de Taoudéni en régions par le Conseil des ministres du 19 janvier 2016.  Au sud, les cercles de Nioro, Kita, Nara, Dioïla, San, Koutiala, Bougouni, Bandiagara prennent leur mal en patience ; ils sont sûrs de devenir régions tôt ou tard, puisque la loi est votée. La loi ? C’est bien dit. Mais il faut des moyens pour opérationnaliser les régions ! Le ministre de l’Administration territoriale prévient qu’on fera les législatives (déjà reportées par deux fois) en mars 2020 avec l’ancien fichier électoral, avec les anciennes régions et les anciens cercles. La loi n’a d’ailleurs pas dit si les nouvelles régions auront de nouveaux cercles ou si elles doivent partir avec des cercles déjà existants.

Les populations grognent, acceptant mal d’être commandées du jour au lendemain par un ancien égal. Le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, en visite à Gao le 2 décembre 2018, promet donc qu’il n’y aurait plus création de nouveau cercle sans consultation des populations, ni de nouvelle région en dehors de celles prévues par la loi de 2012. Car tout cela demande de l’argent, beaucoup d’argent, que le gouvernement n’a pas, du moins en raison de sa propre gestion du bien public. L’article 39, lui, sera opérationnalisé le 16 juin 2020, après de nombreuses marches des syndicats enseignants et du M5 RFP. Ce jour-là, en effet, dans la salle Djéli Baba Sissoko du CICB, recevant « les forces vives de la nation », IBK ordonnait son « application immédiate ». Les jours précédents, il est vrai, l’Imam Dicko, principal dirigeant du M5, avait dit que l’article 39 était un acquis, de par la loi, non une revendication. La nomination aléatoire des gouverneurs des nouvelles régions commence en 2018, au hasard des événements, tandis qu’à la télévision, les présentateurs alternent les termes « cercle » et « région » pour les désigner. Ce redécoupage territorial reste un des chantiers majeurs de la Transition. Il faudra peut-être y renoncer, ou le limiter, tant en raison des difficultés financières que des oppositions rencontrées au niveau des populations. Même chose pour l’article 39 : en 2019, Dr Boubou Cissé, Premier ministre et ministre des Finances est si sûr que l’Etat n’en a pas les moyens qu’il fait mentir le ministre chargé du Dialogue social et de la Fonction publique. Celui-ci avait, en effet, sauvé l’année scolaire 2018-2019, en convainquant les enseignants de reprendre le travail contre application de l’article 39 à la rentrée d’octobre 2019, mais le gouvernement ne tiendra pas parole. Et il réprimera violemment la marche des enseignants en mars 2020.

IBK a démissionné, mais le CNSP et lui ne sont que des maillons d’une même chaîne : le premier usera de procédés dilatoires pour que le procès du Général Aya Sanogo et autres ne se tienne pas, et le 15 avril dernier, le tribunal déclare que les parties se sont entendues pour arrêter la procédure. Les arrangements à coups de dizaines de millions ont été supportés par l’Etat au nom d’une loi sur l’entente nationale promulguée le 24 juillet 2019.

Le CNT vient de reporter à une prochaine session l’examen d’un projet de loi accordant l’amnistie aux putschistes du 18 août, en violation d’une disposition constitutionnelle sur l’imprescriptibilité du crime de coup d’Etat.

Traitements et avantages faramineux des fonctionnaires et agents de l’Etat

Les émoluments des députés sont tels que toute loi présentée ou inspirée par le donateur (tel, en effet, il est perçu) de cet argent est forcément votée. Sinon, gare aux récalcitrants lors des prochaines élections législatives : ils ne seront pas candidats du parti, ils ne seront pas soutenus. Alors, adieu la manne, bonjour le bouge, le taudis et même le loyer. Depuis que le député simple, celui qui n’est dans aucune commission, touche un million et demi par mois (offerts par IBK sur le budget national), le RPM est le parti le plus fort ; et pour qu’un projet de  loi sur la famille ou l’homosexualité soit rejeté par une assemblée ainsi honorée, il ne faut pas moins qu’une coalition de l’Imam Dicko et du Chérif de Nioro, chefs de deux écoles islamiques opposées. Sous l’ADEMA, l’élu national touchait dix fois moins, mais c’était suffisant pour susciter des vocations politiques et entretenir le vivier de la démocratie multipartite. Quand le député Mamadou Hawa Gassama Diaby a demandé de supprimer certaines institutions inutilement budgétivores, il en demandait trop certainement, ne craignant pas de scier la branche sur laquelle il était lui-même assis (depuis vingt ans, il est vrai).

Pour le respect des martyrs, ces salaires de ministres, de généraux, de diplomates ordinaires et d’envoyés spéciaux, ces émoluments de députés et ces caisses de souveraineté, les subventions de la presse et des partis, ce sont là les choses qui devaient, en principe, être au cœur de l’information du régime démocratique, tant il est vrai que c’est la misère, due surtout  à la corruption, qui a amené les foules en colère à l’assaut de l’UDPM. Ce n’est pas le désir de créer ces deux cents partis, dont le peuple n’a que faire. En trente ans, aucune élection n’a atteint un taux de participation de 50%. C’est la négation de la démocratie. Quand, en 2013, IBK est enfin venu (l’homme politique le plus constant au sommet de l’Etat en ces trente ans), les 50% de taux de participation sont atteints pour la première fois dans un élan unanime, comme pour dire : on va désormais construire le pays par le travail honnête. Mais au deuxième mandat, le peuple, dans un élan tout aussi unanime, a réclamé son départ pour corruption et mauvaise gouvernance.

Manœuvres de l’UNTM et du gouvernement

La grille uniformisée accorde des indices plus importants que ceux en vigueur. Mais les rappels n’étant pas soldés, on peut penser que le gouvernement les utilisera pour financer cette augmentation en définitive illusoire. Dans tous les cas, une réforme peut surgir dans trois mois et diminuer les indices des grilles harmonisées, puisque le plus important, désormais, c’est l’équité.

L’UNTM n’a pas aidé les enseignants dans leur lutte contre le gouvernement de Boubou Cissé en 2019-2020. Ses amis et lui n’ont pas parlé d’équité quand les marches étaient réprimées à coups de matraque et de gaz lacrymogène, quand les salaires étaient suspendus et les jours de grève précomptés. Katilé a, au contraire, tenté de dissuader le gouvernement d’y faire droit, en menaçant de réclamer un alignement des grilles pour toute la Fonction publique.

L’article 39 est le seul anticorps efficace contre le Covid-20, c’est-à-dire les mille et une possibilités que les financiers ont à leur disposition pour se faire de l’argent, cette chose à laquelle personne ne résiste : plus on en a, plus on en veut. En France, de hauts fonctionnaires nationaux et internationaux ont été mis en examen pour création d’emplois fictifs, surfacturation ou financement illicite de campagne. Tel est le cas des Premiers ministres François Fillon et Edouard Balladur, du président Sarkozy. En Italie, le Premier ministre Silvio Berlusconi a connu les mêmes avatars et a dû s’exiler en Tunisie. Benjamin Netanyahou, Premier ministre israélien né en 1949 en Israël, est comparable aux jeunes colonels qui viennent de prendre le pouvoir au Mali le 18 août 2020, en ce que ceux-ci n’ont pas connu les événements de 1990 ayant causé la chute du régime de l’UDPM, qu’ils ne sont pas acteurs du Mouvement démocratique et qu’ils ne lui doivent donc rien en principe. Le Premier ministre israélien vient de perdre son poste, après des mois d’un procès pour corruption, lui qui devait incarner la renaissance d’Israël. Est-ce à dire que le Mali Kura doit attendre une autre génération ? Ou, pire, que c’est un mirage ?

On aura remarqué que « l’équité », selon le gouvernement et l’UNTM, dans le projet de loi du deuxième Conseil des ministres de Choguel ce 30 juin 2021. On sait que les primes et les indemnités, c’est là qu’il faut chercher la différence, sans parler des formations, qu’elles soient réelles ou fictives, pertinentes ou superflues, et les per diem sans réglementation précise qui y sont liés. Au chapitre des avantages, il y a les voitures de service et les bons d’essence. Ces fameux bons que les hommes de bureau offrent en cadeaux à leurs visiteurs ou amis, et qui, convertis en argent, couvrent cinq à huit jours de frais de condiments de l’enseignant.

Choguel était à la Maison de l’Enseignant ce 4 juillet pour rencontrer, en deux jours, les dirigeants de la Synergie sur le problème de la grille. Quand on sait que l’ordonnance n°2 du président du CNSP a été prise pour abroger la loi du 16 janvier 2018 portant statut particulier de certains ordres d’enseignement…

Ibrahima KOÏTA, journaliste

Source : le Challenger 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *