Lutte contre la corruption et la délinquance financière : Comment éviter les erreurs judiciaires ?

Pour prouver que le pays s’est résolument inscrit dans une « gouvernance vertueuse », il apparaît presque pressant de donner des signaux forts de traque contre d’éventuels indélicats vis-à-vis des deniers publics.

Du fait que la lutte contre la corruption est plus que fortement appréciée au sein des opinions publiques d’aujourd’hui, certains gouvernants sont souvent tentés de sombrer dans un certain populisme pour brandir des présumés délinquants financiers comme de véritables trophées de guerre.

En effet, sur la proportion des cas de cadres interpellés par les services judiciaires compétents, il y a un taux élevé de dossiers cousus de fils blancs. Ce qui veut dire que parmi les nombreux présumés d’auteurs d’atteintes aux biens publics, l’on signale de cas d’abus ou de dossiers approximatifs ou objets de manipulations diverses. Comment pourrait-il en être autrement quand on sait que la machine judiciaire a le pouvoir discrétionnaire de la poursuite ? Ce qui fait que sur des faits similaires où des fraudes, ou des cas de surfacturations de marchés publics sont fortement soupçonnés, les procureurs ont la latitude d’opérer une sélection sur des bases fortement discutables.

A titre d’exemple, pour certains marchés publics sulfureux, l’autorité judiciaire a du mal à démontrer son indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Ce qui est aisément compréhensible, d’autant que les parquets sont aux ordres des ministres de la Justice, donc du Gouvernement. Surtout que, dans le contexte malien et dans d’autres pays, le ministre de la Justice, autorité de tutelle de la machine de poursuite (Procureur généraux, avocats généraux, Procureurs de la République, substituts) peuvent être enjoints de rouvrir un dossier précédemment clos avec le sceau du « non-lieu ».

C’est ce qui s’est produit dans l’affaire des ristournes des cotonculteurs ou affaire Bakary Togola, où le ministre de la Justice a ordonné au ministère de réexaminer le dossier après un premier non-lieu. Le ministre s’est même déclaré insatisfait du verdict de la procédure, convaincu qu’il y a de nombreuses malversations dans cette affaire… C’est ce qui fait que certains observateurs se montrent circonspects quant au risque d’erreurs judiciaires et à une dose de populisme dans la gouvernance de l’institution judiciaire.

En outre, comment comprendre que la justice puisse tenir compte du pouls de la population en se fondant beaucoup sur l’option des dénonciations populaires ? Comment on peut éviter des dénonciations tendancieuses dans un pays où l’animosité et la méchanceté provoquent des troubles sociaux ? Quid des règlements de compte ou des vengeances d’adversaires politiques ? N’est-ce pas le cas d’élus municipaux jetés en prison sans ménagement pour détournement de deniers publics dans des dossiers où l’Etat n’est pas partie civile, mis une procédure menée sur plainte d’autres élus administratifs ou cadres politiques? Ces genres d’affaires semblent porter des germes d’erreurs judicaires, surtout que la question même de la présomption d’innocence y est superbement piétinée, au grand désarroi des prévenus.

Par ailleurs, dans un processus de Transition politique, où de fermes promesses de changement de gouvernance sont quotidiennement servies au peuple, les autorités judiciaires sont comme obnubilées de faire des résultats. Il s’agit de parvenir à jeter en prison des cadres et personnalités qui ont visiblement réussi socialement et qui semblent s’être enrichis à partir des marchés publics. N’ont-ils pas géré des fonds publics ? Sont-ils hors de tout soupçon de cas de surfacturation ou d’enrichissement illicite ? Ils sont alors prioritairement dans la ligne de mire de la machine judiciaire, visiblement désireuse de brandir de «gros poissons » corrompus ! Une forme de populisme s’en dégage et il n’est pas étonné qu’à la moindre impatience populaire de piétinement de la lutte contre l’impunité et la corruption, ces cadres suspects soient envoyés derrière les barreaux. Ils seront alors de véritables agneaux sacrificiels s’il est établi plus tard que leur implication dans des crimes ou délits financiers est plus imaginaire ou légère que réelle ou grave. Mais, comme il fallait que le peuple sache que la lutte pour assurer une gouvernance vertueuse est engagée, il fallait donner des signaux forts. Conséquence : la justice prêtera le flanc à de nombreuses critiques ; mais le plus important est de prouver que « plus rien ne sera comme avant ». Dommage ! Et c’est à la machine judiciaire de se battre pour sauvegarder son indépendance et assurer une certaine sécurité juridique des citoyens. Elle préservera ainsi le sacro-saint principe de l’égalité de tous devant la loi. Mais aussi et simplement du principe divin de la JUSTICE !

Boubou SIDIBE/maliweb.net

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