Hospitalité légendaire malienne : Quelle lecture des expulsions de personnalités étrangères ?
Quelle lecture faut-il faire du rejet par le Mali de certains de ses amis d’hier ? Le Mali, jadis terre d’hospitalité et havre de paix, montre-t-il un autre visage aujourd’hui. Si l’on peut aisément constater que la paix fait défaut aujourd’hui, l’hospitalité, quant à elle, suscite débat. Quel lien entre paix et hospitalité ? La dégradation du climat de paix au Mali a-t-elle porté un coup fatal à l’hospitalité légendaire malienne ? Ou alors certains étrangers ont-ils enfreint à des règles d’or qui sous-tendent cette hospitalité ? Quels sont les principes et obligations transgressés ?
La question vaut son pesant d’or quand on sait que ces dernières années, notre pays a connu pas moins de cinq cas d’expulsion, des personnalités étrangères invitées à quitter le territoire national, décisions assorties d’ultimatum lancé par les autorités du pays, si elles ne sont pas déclarées persona non grata. Nous plongeant dans les racines de nos sources, si nous ouvrons la charte du Mandé issue de la rencontre des représentants du Mandé traditionnel et leurs alliés, réunis en 1236 à Kurukan Fuga (actuel Kangaba en République du Mali) après l’historique bataille de Kirina, on y trouve des articles relatifs à la gestion de l’hospitalité. La charte du Mandé ou de Kurukan Fuga, l’une des premières au monde faisant office de constitution et garantissant les droits humains, a été un instrument pour régir la vie du grand ensemble mandingue. Après son l’Article 23 : « ne vous trahissez jamais entre vous. Respectez la parole d’honneur. », on peut lire dans son Article 24 : « ne faites jamais du tort aux étrangers. ». La charte de Kurukan Fuga a également réservé une place de choix dans son Article 25, aux messagers (aujourd’hui ceux qui mettent en œuvre le droit à l’information, les défenseurs de la liberté d’expression, comme les journalistes), « les messagers ne risquent rien au Mandén », déclare la Charte du Kurukan Fuga.
Le Français Christophe Sivillon accusé de séparatisme.
Une des personnalités expulsées du Mali au cours de ces dernières années, celles de la crise politico-sécuritaire, est le Français Christophe Sivillon, chef du bureau de la Minusma à Kidal. Son discours prononcé en fin novembre 2019, à Kidal lors du congrès du MNLA, a suscité la colère de Bamako. Le chef du bureau de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) à Kidal avait souhaité la bienvenue aux délégations « venues du Mali et de l’étranger». La sanction de Bamako (gouvernement de Boubou Cissé, Premier ministre du Président IBK) est tombée le mardi 10 décembre, dix jours après la déclaration de Christophe Sivillon. Le ministre malien des Affaires étrangères de l’époque, Tiébilé Dramé, a annoncé au cours d’une conférence de presse que le diplomate français était désormais persona non grata. « Il dispose de 24 heures pour quitter le territoire de la République du Mali », avait-il précisé.
En souhaitant la bienvenue à Kidal aux délégations « venues du Mali et de l’étranger », lors du congrès du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le 30 novembre, Christophe Sivillon a suscité une levée de boucliers dans le pays, écrit notre confrère Jeune Afrique. Sa déclaration veut dire que Kidal ne fait pas partie du pays. Mouvements de la société civile, partis politiques, institutions… tous ont condamné ses propos, l’accusant de remettre en cause l’intégrité du territoire. Les députés maliens ont dénoncé, le 5 décembre, dans une déclaration commune lue en séance, « des propos qui portent une atteinte grave à la souveraineté et à l’intégrité territoriale ». « Nous demandons au gouvernement de mettre en garde la Minusma, pour le comportement irresponsable de son agent », ont-ils déclaré.
Si cette déclaration a pris autant d’ampleur, c’est surtout à cause du contexte explosif qui prévaut actuellement au Mali. Depuis plusieurs mois, en effet, des manifestations ont lieu à travers le pays pour réclamer le départ des forces internationales, la Minusma et Barkhane. Face à la multiplication des attaques, les populations expriment leur lassitude, poursuit le journal. Le ministre malien des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé, qui a insisté depuis son arrivée au gouvernement, en mai, sur la nécessité que l’État exerce son autorité sur Kidal, s’est entretenu au téléphone, le 2 décembre, avec Mahamat Saleh Annadif, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et chef de la Minusma. Il l’a ensuite rencontré, ainsi que Baranga Gassarabwe, représentante spéciale adjointe du secrétaire général de l’ONU, afin d’échanger sur la position de Bamako à propos de ces déclarations et d’«examiner les mesures que dictent ces propos».
Le Burkinabé Hamidou Boly soupçonné d’« agissements incompatibles avec son statut »
Le Mali a déclaré « persona non grata » le représentant spécial de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), Hamidou Boly. Il lui a été demandé de quitter le territoire « au vu de ses agissements incompatibles avec son statut », annonçait lundi 25 Octobre, le ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération Internationale, Abdoulaye Diop. Cette décision intervient au lendemain de la fin d’une visite de 48 heures d’une délégation onusienne au Mali.
« Ce lundi 25 octobre 2021, le représentant spécial de la de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Mali a été convoqué au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Internationale où il lui a été notifié la décision du gouvernement de la République du Mali le déclarant [persona non grata] au vu de ses agissements incompatibles avec son statut »
, a annoncé un communiqué du ministère. « Cette décision intervient après plusieurs mises en garde adressées à l’intéressé à travers sa hiérarchie. En conséquence, un délai de 72 heures lui est accordé pour quitter le territoire national » indique le communiqué. Toutefois le communiqué souligne, en outre, que le ministère réitère la disponibilité du gouvernement à maintenir le dialogue avec la CEDEAO et à œuvrer ensemble pour la réussite de la Transition et la « consolidation de nos efforts en vue de renforcer l’intégration sous-régionale dans un esprit de solidarité, de complémentarité, de respect mutuel et de sincérité ». Hamidou Boly était accrédité au Mali depuis juillet 2019.
Le Français OLIVIER SALGADO Porte-parole de la MINUSMA coupable de « publications tendancieuses et inacceptables »
C’est un communiqué du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, publié le mercredi 20 juillet 2022, qui informe de la décision du Gouvernement invitant Olivier SALGADO, Porte-parole de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA), à quitter le territoire national dans un délai de 72 heures. Cette décision a été notifiée à Mme Daniela KROSLAK, Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général des Nations Unies au Mali, reçue en audience par le ministre Abdoulaye Diop. « Cette mesure fait suite à la série de publications tendancieuses et inacceptables de l’intéressé sur le réseau social tweeter déclarant, sans aucune preuve, que les Autorités maliennes auraient été préalablement informées de l’arrivée des 49 militaires ivoiriens par vol civil, à l’aéroport international Président Modibo KEITA, le dimanche 10 juillet 2022 », explique le ministre Diop. Le communiqué précise que la demande officielle adressée à Oliver Salgado, « à travers sa hiérarchie depuis le 12 juillet 2022, de fournir la preuve des affirmations contenues dans son tweet, ou au cas contraire, de porter la rectification nécessaire, dans la même forme, est restée sans suite ». Ne pouvant pas passer sous silence ces agissements portant atteinte au partenariat avec la MINUSMA et d’autres partenaires, le ministère a tiré toutes les conséquences, ayant conduit à cette expulsion. Le Chef de la diplomatie malienne a rassuré que son département est constamment disponible « à maintenir le dialogue et à poursuivre la coopération avec l’ensemble de ses partenaires internationaux, y compris la MINUSMA, dans un esprit de solidarité, de complémentarité et de respect mutuel ».
Prenant acte de la décision, la Minusma a dit qu’elle la regrettait profondément, promettant de « continuer à œuvrer à la mise en œuvre de son mandat en appui à la paix et à la sécurité au Mali ». Mais, les dernières nouvelles font état du départ de Olivier Salgado du Mali quelques jours auparavant.
L’Ambassadeur de France à Bamako Joël Meyer victime de « propos hostiles et outragés de ministres français »
Le gouvernement de la République du Mali informe l’opinion nationale et internationale que ce 31 janvier 2022, l’ambassadeur de France à Bamako, son excellence Joël Meyer, a été convoqué par le ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale, et qu’il lui a été notifié la décision du gouvernement l’invitant à quitter le territoire national dans un délai de soixante-douze heures. L’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali, Joël Meyer, en poste à Bamako depuis octobre 2018, « fait suite aux propos hostiles et outragés du ministre français de l’Europe et des affaires étrangères tenus récemment, à la récurrence de tels propos par les autorités françaises à l’égard des autorités maliennes en dépit des protestations maintes fois élevées ». La ministre des armées de la République française, Florence Parly, avait déclaré le 25 janvier que la junte multipliait « les provocations ». Son homologue des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait, deux jours après, qualifié la junte d’« illégitime » et ses décisions d’« irresponsables », après le retrait par le Danemark de son contingent de forces spéciales. « Ces déclarations tendent à remettre en cause et la légalité et la légitimité des autorités auprès desquelles l’ambassadeur de France est accrédité (…) Vous ne pouvez pas être accrédité auprès d’autorités que vous-mêmes vous ne reconnaissez pas », a dit, de son côté, dans la soirée le ministre des affaires étrangères Abdoulaye Diop, toujours à la télévision d’Etat. Dans le communiqué diffusé lundi à la télévision, le gouvernement malien affirme néanmoins réitérer « sa disponibilité à maintenir le dialogue et poursuivre la coopération avec l’ensemble de ses partenaires internationaux, y compris la France, dans le respect mutuel et sur la base du principe cardinal de non-ingérence ». Cette expulsion ne compte pratiquement pas de précédents pour un ambassadeur de France dans la région.
Le ministère des affaires étrangères français a déclaré prendre « note » de cette décision. « En réaction, la France a décidé de rappeler son ambassadeur », a fait savoir le Quai d’Orsay. Paris exprime aussi « sa solidarité vis-à-vis de ses partenaires européens, en particulier du Danemark », dont le contingent vient d’être expulsé par les autorités maliennes.
Le Congolais (RDC) Guillaume Ngefa-Atondoko ANDALI, Directeur de la DDHP- MINUSMA pour « agissements déstabilisateurs et subversifs »
Dans un communiqué de presse, « le Gouvernement de la République du Mali informe l’opinion que ce jour 05 Février 2023,le Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a notifié à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation du Mali (MINUSMA) la décision du Gouvernement de déclarer persona non grata, Monsieur Guillaume Ngefa-Atondoko ANDALI, Directeur de la Division des droits de l’homme de la MINUSMA. Par conséquent, l’intéressé devra quitter le territoire national dans un délai de 48 heures ». Cette mesure fait suite aux agissements déstabilisateurs et subversifs de Monsieur ANDALI, en violation flagrante des principes et obligations que doivent observer les fonctionnaires des Nations Unies et tout diplomate accrédité au Mali, conformément aux conventions internationales pertinentes, indique le communiqué sans donner de précision sur lesdits principes et obligations violées. « En effet, à l’occasion des différentes sessions du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur le Mali, les actions de Monsieur ANDALI ont consisté à sélectionner des usurpateurs s’arrogeant le titre de représentant de la société civile malienne, en ignorant les autorités et les institutions nationales », indique le communiqué. Selon le communiqué du gouvernement, « Des investigations menées, il ressort que l’offre de dénigrement de Monsieur ANDALI a été rejetée dans un premier temps par un digne enfant du Mali. C’est par défaut qu’il a réussi à trouver une dame qui a accepté de jouer le rôle d’usurpateur en s’exprimant le 27 janvier 2023 au nom de la société civile malienne. La conspiration était d’autant plus grande que l’organisation dont se réclame l’usurpatrice est une Association étrangère non déclarée et ne dispose d’aucun droit d’exercer au Mali. A titre de rappel, ce forfait a été dénoncé respectivement par plusieurs acteurs dont le Conseil National de la Société Civile et la Coordination des Associations et ONG Féminines du Mali (CAFO) ». Le Gouvernement de la Transition réitère sa disponibilité à maintenir le dialogue et poursuivre la coopération avec l’ensemble de ses partenaires, conformément aux 3 principes de SE le Colonel Assimi GOITA, Président de la Transition, Chef de l’Etat, à savoir: « Le respect de la souveraineté; Le respect des choix stratégiques et des choix de partenaires opérés par le Mali; La prise en compte des intérêts vitaux du Peuple malien dans les décisions prises ».
Doit-on comprendre que, puisant dans les sources et les tréfonds du passé, (sans aucune tendance à vouloir remonter le temps), le respect de l’article 24 du Kurukan Fuga : « ne faites jamais du tort aux étrangers. », socle de l’hospitalité légendaire du Mali, devrait dépendre de celui des principes sacro-saints édictés par le président de la Transition ? En définitive, dans les cas querellés ci-dessus les personnalités en cause ont-elles violé la souveraineté du Mali, les choix stratégiques et des choix de partenaires opérés par le Mali, les intérêts vitaux du Peuple malien dans les décisions prises? Le département des Affaires étrangères et la Coopération internationale ne doit-il pas élaborer en prévision, un document en accord et à l’usage des partenaires accrédités ?
B. Daou
Source : Le Républicain