DÉLESTAGES A BAMAKO : Ces secteurs d’activité gravement touchés

Les délestages affectent plusieurs secteurs d’activité. À cet effet, nous sommes allés à la rencontre de quelques-uns de ces patrons et employés touchés par le délestage qui leur fait perdre énormément d’argent.
Ibrahim est soudeur (menuisier métallique) de profession. Un métier qui le passionne qu’il maîtrise bien après une formation dans un centre professionnel. Il était employé dans un atelier de menuiserie métallique de Bamako. Etait ? Oui ! Aujourd’hui, Ibrahim est devenu conducteur de «Télimanin» (moto taxi). La crise énergétique que vit le pays depuis plus d’une année est passée par là.
«Il y a 5 mois, le patron nous a demandé de nous débrouiller tous parce qu’il avait lui-même du mal à joindre les deux bouts, les marchés se faisant rares», nous explique-t-il. «Avant ces coupures incessantes de courant, nous avions beaucoup de commandes à cause de la qualité et l’originalité de nos œuvres. On s’en sortait bien et le patron était juste et généreux. Il y a trois ans, je me suis marié grâce à mes économies et à son soutien. J’avais en projet de m’installer à mon propre compte à la fin de cette année dans une autre ville. Mais, tous mes rêves se sont écroulés aujourd’hui à cause de cette crise énergétique qui s’éternise», nous raconte-t-il.
«Croyant à une crise passagère, le patron s’était doté d’un groupe électrogène qui n’a pas fait plus de trois mois à cause du volume du travail. Il a acheté un second groupe qui a connu le même sort. Sans compter que la consommation en essence réduisait sérieusement la marge bénéficiaire. Finalement, il s’est résigné à son sort parce que les marchés ne suivaient plus. Ayant lui-même de plus en plus du mal à faire face à ses responsabilités sociales, il a demandé à tous ses travailleurs de chercher à se débrouiller ailleurs», poursuit Ibrahim avec beaucoup d’amertume. Et comme presque tous les secteurs économiques sont à l’agonie, il s’est rabattu sur le seul qui résiste encore : les motos taxis !
«Un oncle s’est porté garant pour que je puisse avoir une moto neuve en payant une partie du prix. Nous sommes convenus d’un montant que je dois lui verser chaque jour jusqu’à l’épuisement de ma dette. Dieu merci, il ne me reste plus beaucoup à payer», précise-t-il. «Je parviens à joindre les deux bouts en faisant face aux charges de ma famille (une femme et un enfant), à aider les parents au village et même souvent à faire des surprises à mon patron avec qui je n’ai pas coupé les ponts parce qu’il a toujours été là pour moi. Il m’arrive même de venir travailler à ses côtés la nuit quand il y a le courant», affirme le trentenaire aux cheveux crépus et à la silhouette déjà marquée par les épreuves de la vie.
«Télimanin», une bouée de sauvetage pour joindre les deux bouts
Comme Ibrahim, ils sont nombreux (jeunes et adultes) qui ont jeté leur dévolu sur la conduite des motos taxis pour échapper au chômage imposé par la crise énergétique. Le secteur de la menuiserie métallique est sans doute l’un des plus affectés par cette crise qui ne fait que s’aggraver.
«Auparavant, si un chef d’entreprise pouvait quotidiennement avoir entre deux cent mille et trois cent mille, aujourd’hui, il n’est pas possible d’avoir cinquante mille», confesse Aboubacar Camara, patron d’un atelier de soudure qui emploie huit salariés. «La coupure d’électricité, même durant une minute, est une très grande perte d’argent pour nous qui travaillons dans le domaine de la soudure. Je vous laisse imaginer ce que cela peut nous coûter 24h sans courant», poursuit-il. «Ces derniers mois, il nous arrive fréquemment de passer toute une journée à ne rien faire à cause de la coupure d’électricité», se plaint M. Camara.
Cette situation a un très grand impact sur la situation socioéconomique de tous ceux qui vivent ce calvaire comme lui. «Notre première grande difficulté est le salaire des employés qui est aujourd’hui notre première préoccupation en plus des dépenses familiales. Si on pouvait se permettre de payer facilement nos employés à cinquante ou quarante mille, aujourd’hui, nous ne pouvons les payer qu’à vingt mille au maximum pour cause de délestage», souligne Boubacar Camara. Face à cette nouvelle réalité, les travailleurs du secteur s’adaptent malgré l’insécurité. «Il nous arrive d’avoir le courant à minuit et de travailler jusqu’à 6h du matin. Cela arrive fréquemment ces derniers temps. Si l’on veut s’en sortir, c’est le seul moyen», reconnaît le patron de l’atelier de soudure. «Nous avons même du mal à garantir la sécurité dans nos familles car nous passons fréquemment toute la soirée dehors à travailler», précise-t-il.
La vitale solidarité des voisins
Et d’ajouter, «heureusement que, quand nous travaillons durant la nuit, les voisins se plaignent rarement car ils comprennent notre situation. Dès fois, quand il y a de l’électricité dans la soirée, des voisins nous informent et nous demandent si nous n’avons pas de travaux à exécuter». Malheureusement, les soudeurs ne sont pas les seuls à vivre ce calvaire. Promoteur d’un salon de coiffure pour hommes, Ousmane Fomba emploie deux salariés.
«Dans le passé, si on pouvait gagner par exemple dix mille par jour, aujourd’hui nous en avons au maximum la moitié grâce aux machines rechargeables qu’on utilise pour pouvoir travailler. Malheureusement, ces appareils ont une batterie qui ne peut pas nous permettre de travailler toute une journée», nous confie-t-il. «Actuellement, nous faisons face à une très grande chaleur. Les clients cherchent le confort lorsqu’ils viennent chez nous et sans électricité, cela n’est pas possible. En effet, beaucoup ne supportent pas d’être coiffés dans la chaleur sans climatisation ou sans ventilation», explique-t-il.
Pour ce père de deux enfants, parvenir à combler les besoins de son entreprise et de sa famille est de nos jours très difficile. Et pour y parvenir, ce dernier est aidé par le boutiquier au coin de la rue. «A cause du délestage, j’ai du mal à payer mes employés, mais ces derniers comprennent la situation. A la différence d’eux, je suis obligé de payer le loyer de mon salon et le propriétaire de ce bâtiment s’en fout, que je travaille ou pas, il veut son argent à la fin du mois. Je suis aussi chef de famille qui a des enfants qui doivent bien être nourris pour ne pas mourir de faim», précise le coiffeur qui a du mal à vivre de son talent à cause des délestages.
«Si je parviens à tenir les deux bouts, surtout à nourrir les miens, c’est grâce au boutiquier qui m’accorde souvent du riz et d’autres denrées alimentaires à crédit», nous confesse Ousmane Fomba. Pour «Kôrôbôrô» (le boutiquier sonrhaï), les Maliens doivent faire preuve de plus de solidarité les uns à l’égard des autres pour traverser cette mauvaise passe. «Fomba est un gros travailleur à cheval sur les valeurs humaines. Depuis que nous nous sommes connus, il n’a jamais pris de l’argent pour me coiffer. Et c’est quelqu’un qui a horreur de prendre les marchandises à crédit. Aujourd’hui, il n’a pas le choix et ce qui lui arrive n’est pas de sa faute. C’est dans les moments pareils que nous avons le plus besoin les uns des autres pour faire face à la situation», nous dit-il avec une sagesse toute religieuse. Et pourtant, il est aussi affecté par ces coupures car il a presque arrêté de vendre des produits très prisés comme le lait, le yaourt, le beurre qu’il ne peut plus garder longtemps dans le réfrigérateur à cause de la fréquence des coupures.
N’empêche qu’il demeure l’ultime secours pour beaucoup de chefs de famille sur le point de perdre la raison à cause des équations sans solutions que leur impose les coupures intempestives de courant !
Dan Fodio
Source : Maliexpress.net
Inscrivez-vous au Newsletter de Maliexpress.net pour recevoir le journal PDF gratuit