CRISE SOCIO-ÉCONOMIQUE: Quand les poubelles deviennent le dernier recours pour survivre dans la dignité
Nourrir sa famille, faire face aux dépenses quotidiennes demeurent aujourd’hui un immense défi au Mali, notamment dans la capitale où les effets pervers des crises sécuritaire et sanitaire (Covid-19) sont accentués par des délestages sans précédents. Joindre les deux bouts est devenu une équation à la solution hypothétique pour de nombreux chefs de famille dont certains n’hésitent plus à fouiller les poubelles et les ordures pour espérer y trouver le minimum vital.
Sans être surréaliste, la scène avait quelque chose d’anodin pour le blogueur matinal. Deux hommes, aux cheveux et barbiches plus sel que poivre (plus de poils blancs et que de noirs) ramassent des canettes de boisson au niveau du monument «Bougiba» (grande bougie) de l’ACI 2000 qui, d’un puissant coup de pied, sont aplaties avant d’être mises dans un sac en plastique. Le chapelet dans la main droite nous amène à penser que c’est de la mosquée qu’ils se sont retrouvés ici.
«Ne sois pas surpris mon cher, vivre à Bamako aujourd’hui est un véritable enfer pour ceux qui n’ont pas de moyens et sans soutien», nous dit un joggeur de passage. Le temps lui donnera raison car, quelques jours plus tard, un acteur humanitaire a fait une publication similaire sur les réseaux sociaux pour attirer les regards sur le sort peu enviable d’une vieille dame.
«C’était à 6h17mn. C’est une vieille femme, elle me dit avoir approximativement 76 ans puisqu’elle avait 20 ans quand feu Modibo Keita quittait le pouvoir. Elle vit du ramassage des plastiques blancs (sachet d’eau, de sucre). Chaque matin, elle sort pour ramasser puis aller vendre afin de gagner 1 000 à 1 500 F CFA», a-t-il témoigné en s’engageant. Il s’est engagé à ne rien ménager pour trouver un fond de commerce pour aider la vieille dame à s’en sortir. «Elle n’a pas croisé les bras pour attendre la providence comme tous ces jeunes derrière leur téléphone attendre l’aide et mieux vivre à la sueur des autres», défend-t-il.
«Mon frère, que faire ? Nous nous sommes retrouvés au chômage par la force des choses. Compressés, nous nous étions engagés comme vigile dans une société de gardiennage. Mais, avec l’âge, on nous a poussé vers la porte», nous a confié l’un des vieux. «Ma femme et les enfants font de leur mieux pour la famille. Mais, aujourd’hui, cela ne suffit plus à cause de la situation du pays. En quittant la mosquée, nous faisons les cent pas pour essayer aussi de ramasser ces canettes qui nous rapportent au moins 1 000 F Cfa par jour», ajoute-t-il. «Et ça fait aussi du sport mon frère», nous taquine-t-il en éclatant de rire. Un rire jaune pour faire bon cœur contre mauvaise fortune.
Il y a de quoi être surpris par la posture des deux fidèles de «Bougiba» car, d’habitude, nous ne voyons que les enfants, les adolescents des deux sexes et des femmes d’un certain âge prendre d’assaut dès l’aube les tas d’ordure ou les poubelles pour trier de la ferraille, des sachets plastiques, des canettes et des bidons de boisson, de jus et de boissons énergétiques… Une collecte vendue plus tard à des acheteurs ambulants qui sillonnent nos quartiers. «Je suis apprenti-soudeur. Je fais cela tôt le matin pour épauler ma mère dans les dépenses de la famille avant d’aller à l’atelier», nous a une fois confié un bambin d’une dizaine d’années croisé à l’ACI 2000.
«Je lave et je revends les bidons aux femmes qui vendent du jus de gingembre, de tamarin, de dablenin… Les canettes et autres objets en fer sont vendus par kilo (entre 50 et 100 F CFA/kg) aux ferrailleurs. Cela me permet de compléter les revenus car je suis aussi lavandière le reste de la journée», nous confie une jeune dame.
Mais, à y regarder de près, il n’y a rien de surprenant de retrouver aujourd’hui dans la rue des sexagénaires cherchant à joindre les deux bouts dans les poubelles. En effet, ces derniers mois, faire manger la famille à sa faim, les frais de location ou d’ordonnance, la scolarisation des enfants… sont devenus des équations sans solutions évidentes pour de nombreux chefs de famille. Mais, même dans la pire galère, certains gardent encore leur dignité en se battant au lieu de tendre la main. Ainsi, nos amis de l’ACI préfèrent fouiller les poubelles et trier les ordures pour trouver de quoi survivre sans mendier.
«Ces derniers temps, ceux qui trouvent à manger doivent rendre grâce à Dieu. Il est vrai que la conjoncture actuelle est mondiale. Mais, au Mali, la situation socioéconomique des ménages est de plus en plus dramatique. Puisse Allah soulager les chefs de familles en difficulté en les aidant à nourrir et à faire face aux frais de location, d’ordonnances…», prie notre acteur humanitaire. Conscient de son privilège, il ne cesse de multiplier les initiatives et d’exhorter (en servant notamment de relais) les bonnes volontés à agir pour soulager ceux qui ne savent plus comment s’en sortir.
Dans la plupart des cas, à ces nécessiteux, ils préfèrent plutôt donner les moyens de pêcher (fonds pour mener des petites activités) et non leur offrir du poisson. Et cela dans la logique que, en mettant ensemble le peu que chaque bonne volonté est prête à apporter, on peut tirer quelques nécessiteux de cette galère !
Dan Fodio pour Maliexpress.net