Colonel Sadio Camara : « L’engagement patriotique de l’armée n’a jamais faibli »
La commémoration du 20 janvier 1961, les actions des Forces armées maliennes en 2020, la présence des forces étrangères sont, entre autres, sujets abordés dans cette interview par le ministre de la Défense et des Anciens combattants. Il revient également sur les allégations d’exactions et de violations des droits humains par les Forces armées maliennes
L’Essor : Le 20 janvier est une occasion renouvelée pour les autorités et les populations du Mali de témoigner leur reconnaissance et exprimer leur soutien et leur confiance aux Forces armées maliennes. Que vous inspirent toutes ces marques de reconnaissance ?
Colonel Sadio Camara : Dis-moi de quelle armée tu disposes, je te dirai quelle nation tu bâtiras, dit-on. De sa création à nos jours, l’Armée du Mali a été et continue d’être une force de défense du territoire et de protection des citoyens. En 60 ans d’existence, elle s’est affirmée comme un creuset de notre identité nationale par la diversité de la provenance des hommes et femmes qui servent en son sein. Elle a été de tous les combats pour le développement du pays. Il me plait de souligner que contrairement au concept classique d’une armée, l’Armée nationale ne constitue pas une force en marge de la société. Elle est totalement intégrée au corps social, parce que formée d’hommes et de femmes issus du peuple et proches du peuple.
Au-delà de sa mission spécifique, elle a consacré et continue de consacrer tous ses efforts au développement socioéconomique du pays, apportant aux populations un appui et un réconfort à travers les actions civilo-militaires.
Les manifestations de soutien dont vous parlez, de toutes les composantes de la République et de l’ensemble des populations maliennes à l’Armée nationale, sont donc la traduction la plus éloquente de la confiance et de la reconnaissance de la nation. Il est important de le souligner, ce soutien des populations est un facteur de motivation et de renfort moral des troupes et de la hiérarchie militaire. Je m’en réjouis et j’appelle tous les Maliens à maintenir et renforcer leur soutien aux FAMa jusqu’à la victoire finale.
L’Essor : Quel bilan succinct faites-vous des actions des FAMa en 2020 ?
Colonel Sadio Camara : Pour les FAMa, 2020 a été une année opérationnelle particulièrement dense, parce que la crise sécuritaire a persisté, marquée par des attaques terroristes qui ont durement frappé plusieurs localités et communautés de notre pays. Face à cette situation difficile et complexe, les FAMa sont restées engagées et déterminées à poursuivre le combat contre ces forces du mal, en maintenant un niveau d’engagement élevé sur le théâtre des opérations, en planifiant et en exécutant avec succès plusieurs opérations. Je me réjouis et le dis avec une légitime fierté, que ce soit dans l’urgence ou au cours d’opérations planifiées, la compétence, l’engagement patriotique et la réactivité de l’armée n’ont pas faibli face à la récurrence et à la traitrise des attaques.
Le Mali est un pays très vaste et vous pouvez comprendre que l’armée ne peut pas être partout et en même temps. Nous avons compris que pour protéger les populations, il fallait adopter une posture dynamique. C’est pourquoi, nous avons lancé la stratégie de l’endiguement dont la première phase est la saturation. Il s’agit, pour l’armée, de déployer suffisamment de forces de façon progressive, dans les zones affectées par l’insécurité afin de détruire les groupes armés terroristes, leurs camps d’entraînement, leurs dépôts logistiques, de les chasser des zones qu’ils occupent pour y installer les forces de sécurité et faire face à l’insécurité résiduelle.
À titre de rappel, retenez que de nombreuses opérations militaires ont été exécutées pour pacifier et stabiliser le pays. Il s’agit, entre autres : des opérations Horonya, Danaya et Tama menées dans le cadre de la sécurisation de la ville de Gao et ses environs ainsi que la sécurisation des travaux de construction de la route Gao-Bourem ; des opérations Sira, Dongo et Tachamamte qui sont menées dans le cadre de la sécurisation de la ville de Tombouctou et environs ainsi que pour sécuriser les travaux de construction de la route Léré-Niafunké. Sans oublier les opérations Dambé et Soutoura pour sécuriser la frontière Mali-Côte d’Ivoire en coopération avec les forces ivoiriennes et l’opération Seno qui prend en charge la frontière Mali-Burkina Faso et les cercles de Tominian, Koro et Bankass.
Plusieurs autres opérations ont été menées avec les forces partenaires de Barkhane, de la Minusma et des pays voisins. Des opérations militaires conjointes transfrontalières communément appelées OMCT sont menées dans le cadre du G5-Sahel.
L’Essor : Comment se présentent les Forces armées maliennes aujourd’hui ?
Colonel Sadio Camara : Les FAMa viennent de loin. Vous vous rappelez sans doute, que notre pays a connu en 2012 la plus grave crise de son histoire. Sans m’étendre sur les causes et les conséquences de cette crise qui était à la fois politique, institutionnelle, sécuritaire et sociale, je dirais qu’elle a fortement ébranlé notre outil de défense. Suite à ces dramatiques et douloureux évènements de 2012, notre pays a engagé un vaste chantier de reconstruction de notre armée qui vise à donner au Mali les moyens et les capacités d’assurer sa propre défense et sa propre sécurité.
La réalisation de ce vaste et ambitieux chantier de reconstruction de notre armée, on peut le deviner facilement, prendra du temps et nécessitera des sacrifices humains, matériels et financiers énormes. La Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM) adoptée à cet effet a contribué fortement à moderniser et à adapter notre outil de défense au contexte nouveau de promotion de la sécurité, à créer les conditions les meilleures du plein épanouissement des FAMa, à renforcer ses capacités opérationnelles et à améliorer la cohésion et la discipline au sein des Forces armées et de sécurité. Elle a aussi contribué au réarmement moral des troupes, à la réorganisation de la chaîne de commandement, à la mise en condition opérationnelle des troupes, au renforcement des effectifs, à l’amélioration des conditions de vie et de travail des militaires et de leurs familles.
L’Armée du Mali dispose aujourd’hui des ressources humaines, matérielles et financières suffisantes pour mener à bien sa mission de protection et de stabilisation du territoire. Décidé à poursuivre, le département, avec l’appui du gouvernement, a fini d’élaborer la deuxième génération de la LOPM qui a permis de consolider les acquis de la première et de renforcer chacun des quatre piliers capacitaires de l’armée avec un effectif plus important, plus d’acquisitions d’équipements, plus de formations et d’aguerrissements des hommes, entre autres.
L’Essor : Que pensez-vous des récurrentes allégations d’exactions de graves violations des droits humains par les Forces armées maliennes ?
Colonel Sadio Camara : Je le dis et le répète, l’Armée malienne est professionnelle et républicaine. Elle a érigé le respect des droits humains et du droit humanitaire en principe de guerre. Les soldats maliens sont constamment formés et sensibilisés sur les droits humains. L’éthique du soldat a été élaborée et diffusée. Dans le contexte d’une guerre asymétrique, qui ne respecte aucune norme ni règle d’une guerre classique, toutes les manipulations sont permises et sont à la base de cet acharnement à accuser sans fondement les Forces armées de violations graves de droits humains et même d’exécutions extrajudiciaires.
Je m’inscris en faux contre ces allégations mensongères et réaffirme avec force que chaque fois que des cas nous ont été signalés, l’Inspection des Armées a mené des enquêtes. Pour tous les cas établis, les procédures disciplinaires et judiciaires ont été engagées et les auteurs traduits en justice
L’Essor : Qu’avez-vous aussi à dire des accusations de détournement de fonds importants contre des cadres de l’Armée ?
Colonel Sadio Camara : Je voudrais ne pas intervenir pour l’instant, sur cette question sur laquelle la justice est saisie. Mais ma première responsabilité en tant que ministre de la Défense, c’est de protéger l’institution militaire. Je n’accepterai pas que cette question soit utilisée pour déstabiliser les Forces armées maliennes en cherchant à opposer la hiérarchie à la troupe où à démobiliser les troupes engagées sur le théâtre des opérations.
J’ajouterai, pour votre information et celle du public, que tous les états-majors et les directions de services ont dans leur organigramme des services d’inspection spécifiques à leur domaine de compétence. Ces inspections travaillent et produisent périodiquement des rapports sur la gestion financière, technique et tactique de ces structures. Si d’aventure, il y a des membres de la hiérarchie militaire qui se rendant coupables d’actes répréhensibles, c’est documenté et archivé. Le moment venu, les comptes seront faits, les responsabilités seront situées et les poursuites engagées contre tous ceux qui se seront rendus coupables d’actes contraires aux règles et principes de gestion des ressources publiques.
L’Essor : Un autre sujet important revient régulièrement dans les débats. C’est celui du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration des ex-combattants dans l’armée nationale. Que pensez-vous de cette question ?
Colonel Sadio Camara : Le programme Démobilisation-Désarmement et Réintégration des ex-combattants et celui chargé de leur intégration est une disposition de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. La mise en œuvre de ces deux programmes connaît des difficultés et des retards dont certains sont liés à la mise en œuvre de l’Accord lui-même. Malgré tout, nous avançons lentement certes, mais nous avançons dans leur mise en œuvre.
L’Essor : Y a-t-il des réticences de la part des militaires à accueillir en leur sein d’anciens ennemis ?
Colonel Sadio Camara : Je me dois de rappeler une fois encore que l’Armée malienne est au service de la nation. Elle est à la disposition du pouvoir politique établi conformément à la Constitution du pays. Sa mission est de préparer et d’assurer au besoin par la force, la défense de la patrie, la forme républicaine de l’état, les acquis démocratiques et des intérêts supérieurs de la nation. Les militaires engagés volontairement sont appelés à servir de jour comme de nuit et partout sur toute l’étendue du territoire.
Le règlement des armées interdit aux militaires d’évoquer publiquement des questions politiques, sauf sur autorisation du ministre de la Défense. Autrement, les questions relatives au retour de l’Armée dans toutes les localités du Nord et à la réintégration des ex-combattants sont des dispositions de l’Accord d’Alger, donc des décisions politiques.
Il n’est donc concevable de penser, qu’en dehors des avis personnels, que l’institution militaire puisse exprimer autre avis que celui de l’état. Du reste, il est bon de souligner que l’Armée a apporté une immense contribution à la prise de ces décisions politiques.
Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que dans ce processus, deux catégories d’ex-combattants sont appelées à être intégrées. La première est constituée des compagnons d’armes qui ont déserté en temps de guerre pour rejoindre le camp ennemi. En ce qui les concerne, ce n’est jamais facile de réintégrer des frères d’armes qui ont retourné leurs fusils contre d’anciens compagnons. Les appréhensions sont très fortes, mais les militaires maliens ont compris que c’est le prix à payer pour parvenir à la paix. C’est le lieu pour moi de saluer, encore une fois, leur esprit de sacrifice qui va au-delà du don de soi.
La deuxième catégorie de personnes à accepter est constituée d’ex-combattants qui viendront rejoindre l’armée pour la première fois. En ce qui les concerne, l’effort d’acceptation se comprend plus aisément, même s’il faut noter que les premières expériences avortées amoindrissent fortement le crédit dont ils peuvent bénéficier.
Je profite de l’occasion, pour saluer un acte de loyauté et d’engagement, dont on ne parle pas souvent. Il s’agit des nombreux militaires anonymes intégrés qui ont juré et gardé fidélité à la République. Ils n’ont jamais trahi leur serment depuis leur intégration, il y a plus de vingt ans. Et ils sont deux fois plus nombreux que ceux qui ont déserté. Leurs carrières constituent des exemples à magnifier pour donner espoir à la jeune génération. Les niveaux de responsabilité qu’ils ont atteints, à travers leur dévouement et leur loyauté, montrent l’importance et l’avantage de faire confiance à l’état du Mali qui offre les mêmes opportunités d’épanouissement à tous ces dignes fils.
L’Essor : Que pensez-vous de la présence des forces étrangères au Mali et cette partie de l’opinion nationale qui ne semble pas accepter cette situation ?
Colonel Sadio Camara : Je dois rappeler ici que c’est à la demande du Mali et avec son accord, que les forces étrangères interviennent dans notre pays. Il n’y a aucun doute possible, ces forces étrangères sont les organismes de coopération, des alliés importants du Mali dans le combat que nous menons contre le terrorisme. Leur soutien aux Forces armées en matière de renseignements, de logistique et de formation est important. Nous devrions nous convaincre que nous ne gagnerons pas cette guerre en nous trompant d’ennemi et en faisant le jeu des hordes terroristes. Mais retenez que les FAMa n’ont jamais douté de leur responsabilité et leur leadership dans la protection du territoire et des citoyens et dans la lutte contre le terrorisme, le narcotrafic et le crime organisé au Mali.
Ce qui est perçu aujourd’hui comme étant un rejet ou une défiance de la population malienne envers les forces partenaires est le résultat d’une conjonction de facteurs. D’abord, les Maliens n’ont pas compris pourquoi, l’opération Serval qui a permis de libérer Gao et Tombouctou, s’est arrêtée brusquement aux portes de Kidal. Ce changement brusque de stratégie leur est resté au travers de la gorge et a été la source de toutes les supputations.
À cela s’ajoutent les prises de positions, les analyses partisanes et les déclarations irresponsables de personnalités étrangères de hauts rangs et les campagnes agressives de certaines presses contre notre pays qui ont fini par jeter le doute dans l’esprit des Maliens. L’intox sur les réseaux sociaux a fait le reste. à cela, on peut ajouter les multiples interrogations des populations face à la récurrence des attaques terroristes, malgré l’importance des troupes engagées sur le terrain et les immenses ressources matérielles et financières engagées.
Mais, nous devons faire preuve de discernement. Si le Mali a fait appel aux Nations unies et aux autres forces armées étrangères présentes au Mali c’est parce qu’il les juge capables de lui apporter une aide et une assistance substantielles dans la gestion de la crise multidimensionnelle.
Cela dit, il faudrait rappeler et souligner que la construction de la paix se fait progressivement. De 2012 à nos jours, les avancées en termes de paix et de sécurité sont notoires, même si les attentes ne sont pas encore à hauteur de souhait en termes de victoire sur l’ennemi. Ne nous trompons pas de combat. Dans une coalition, tout n’est jamais parfait. Mais, mieux vaut avoir des alliés que d’être seul dans ce combat.
Source: l’Essor