Aly GORO : «J’appelle à la mise en œuvre des recommandations de la CVJR afin de permettre au Mali de renouer avec une paix durable »

Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le 29 mars 2023, le chef d’antenne de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) de Bamako, Aly GORO, a invité les autorités maliennes à la mise en œuvre des recommandations de la CVJR pour la non récurrence des crises au Mali. Selon lui, à ce jour, plus de 32 000 victimes de la crise malienne ont fait leurs dépositions à l’une des antennes de la CVJR. « J’appelle de tous mes vœux à la mise en œuvre des recommandations de la CVJR afin de permettre au Mali de renouer avec une paix durable, la réconciliation et que le Mali puisse sortir de ce cycle de violence, de ces événements tragiques », a déclaré Aly GORO. Lisez !

Le Républicain : Pouvez-vous nous présenter la Commission vérité justice et réconciliation?

Aly GORO :

La CVJR est un organisme public indépendant placée auprès du ministère de la Réconciliation. Elle est la pierre angulaire des mécanismes de justice transitionnelle au Mali. Elle a été créée par ordonnance N°2014003-PRM du 15 janvier 2014 à l’époque par le Président feu Ibrahim Boubacar Keïta, en lieu et place de la CDR (Commission dialogue et réconciliation). Le mandat de la CVJR couvre toutes les crises que le Mali a connues de 1960 à nos jours. Le mandat prend en compte également certaines violations qui ont été perpétrées lors de certains régimes comme les répressions des étudiants, le cas de Abdoul Karim Camara dit CABRAL. Elle prend en compte toutes les causes des conflits ayant affecté le nord du Mali. Son mandat est vraiment vaste. Sa mission est de contribuer à l’instauration d’une paix durable au Mali à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques. La CVJR est composée de plusieurs membres issus de plusieurs associations, des faitières, des politiques, des avocats, des groupes signataires. L’objectif de la structure est de rechercher des solutions durables aux violences et aux crises. Là, il faut vraiment un travail titanesque ; renforcer l’unité nationale, réaliser la justice, la paix ; édifier l’état de droit. La CVJR a été créée en 2014, mais a commencé les activités proprement dites en 2016. Parce que de 2014 à 2016, il fallait l’installation de la direction à Koulouba, mettre en place les antennes régionales, choisir et former le personnel, établir une stratégie nationale sur laquelle la structure devait se fonder. C’est ce qui a fait que c’est en 2016 qu’elle a ouvert les portes. Elle a fait trois ans pour réaliser son mandat. Mais c’était sans compter que la crise au nord allait aussi gagner le centre voire le sud. Avec le centre, les violations des droits de l’Hommes ont été les plus graves, les plus inhumaines. C’est ce qui l’a conduite à revoir son mandat qui devait finir en principe en 2019 et il y a eu deux ans de plus. Mais, toujours est-il que la crise continue. C’est cela le côté incompréhensible. Dans l’histoire, quand on doit mettre ces genres de structures, c’est après les événements, les crises. Mais la crise continue et la commission travaille. C’est l’occasion de féliciter la structure qui a réalisé tout cela dans des conditions extrêmement difficiles. C’est pourquoi le mandat a été revu et en décembre 2022, la CVJR a fermé ses portes.

Est-ce que les autorités prévoient une prolongation du mandat de la CVJR vu qu’il y a encore du travail à faire?

Malheureusement, cette option n’est plus possible parce que la CVJR a déjà fermé ses portes et le rapport final est presque fini et ça doit être remis aux plus hautes autorités et surtout encore qu’il y a des organismes successeurs qui ont été choisis. Donc, ces organismes doivent en principe continuer les œuvres de la CVJR, suivre les recommandations que la CVJR fera aux plus hautes autorités.

Peut-on connaître les points saillants de ce rapport ?

Le rapport est fin prêt. Maintenant, concernant les points saillants, il faut se dire que dans le rapport il y a les années des travaux que la CVJR a effectués. Il y a également les recommandations, qui sont le côté important du rapport, et les recommandations que la CVJR fera aux plus hautes autorités pour la non récurrence des crises. Ces recommandations doivent être suivies par les organismes qui sont en voie d’être mis en place.

Quels sont ces organismes ?

En principe, il y a deux organes qui doivent succéder à la CVJR. Il y a ce qu’on appelle l’Autorité de gestion des réparations (AGR). Le texte l’instituant est passé en conseil des ministres le 1er mars 2023. Il reste la nomination du directeur et les autres membres pour que le travail puisse commencer. Le second, c’est le Centre de mémoire. Il est nécessaire que le pays ait un centre de mémoire pour que les données enregistrées par la CVJR soient gardées dans un centre. Ces données pourront être des matières pour les universitaires, pour les étudiants ou pour toute autre personne éprise de connaître l’histoire de ce qui s’est passé dans ce pays pendant ces périodes difficiles. Donc, le Centre de mémoire et l’AGR vont travailler à poursuivre les recommandations de la CVJR.

C’est vrai que vous avez parlé des crises, mais qu’est-ce qui a motivé la création de la CVJR ?

Ce qui a motivé la création de la CVJR est le souci de permettre au Mali de restaurer une paix durable. De 1960 à nos jours, l’histoire du Mali a été jalonnée par plusieurs crises. Et chacune de ces crises a fait des lots de violations graves, à l’image de la crise de 2012 qui a détruit les poutres du vivre-ensemble du pays. Il y a également l’idée de renforcer l’unité nationale qui s’est effritée avec les violations graves qui se sont déroulées. Il ya aussi l’idée de réaliser la justice et la paix. Et cela passe par la recherche de la vérité sur les graves violations qui ont eu lieu au Mali lors des différentes crises de 1960 à nos jours sur l’ensemble du territoire, mais aussi la réconciliation entre les Maliens, la réconciliation entre les Maliens et l’Etat. Il y a ce fil conducteur qui souffrait beaucoup. Donc, il faut vraiment un travail pour qu’il y ait le retour de la confiance entre les populations et l’Etat. Ce sont ces éléments qui constituent le substrat de l’idée de mettre en place la CVJR.

Quel est le travail primordial de la CVJR ?

Le travail primordial de la CVJR est l’octroi de la parole aux victimes qui avaient envie de dire ce qui leur est arrivé, de dire ce qui est arrivé à leurs parents. Donc, il fallait leur donner une occasion. Bref, c’était la prise de dépositions des victimes. Il faut que les victimes soient écoutées, il faut que leurs proches parents soient écoutés.

A ce jour, il y a eu combien de dépositions de la part des victimes à la CVJR?

A ce jour, nous pouvons dire qu’il y a plus de 32 000 victimes qui ont eu confiance en la CVJR. Plus de 32 000 victimes ont fait leurs dépositions à l’une des antennes de la CVJR.

Il y a combien d’antennes de la CVJR ?

On a 6 antennes (Bamako, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao et Kidal). La crise continue dans notre contexte. De ce fait, il y a encore des victimes. Les victimes passées n’ont pas pu être écoutées totalement à cause des difficultés. Et avec le fait que la crise continue, beaucoup de victimes sont encore là. Ce qui a fait que la CVJR a demandé que l’organe qui sera mis en place pour lui succéder ait un volet qui va s’occuper de l’écoute des victimes qui n’ont pas pu l’être.

De sa création à nos jours, quelles sont les grandes activités réalisées par la CVJR ?

De sa création à nos jours, la CVJR, malgré les conditions difficiles, a fait un travail exceptionnel. Ce n’est pas de l’avis de celui qui est à la CVJR, mais c’est la réalité des faits. De ce fait, l’une des réalisations phares, c’est l’écoute de plus de 32 000 victimes. Egalement, la CVJR a mené plus de 14 enquêtes non judiciaires dans les différentes régions du pays sur les cas emblématiques. On a aussi 5 audiences publiques thématiques. Il y a également la production d’un document de politique nationale de réparation des victimes. Il y a également l’élaboration d’une stratégie nationale de mémoire, ce qui est une première au Mali. Elle a aussi écouté une dizaine de grands témoins de l’histoire du Mali. Il y a aussi la réalisation des cartographies des violations. Elle a mené aussi 6 études sur les thématiques comme le vivre ensemble, les causes profondes des conflits ayant affecté le nord du Mali.

Quelles sont les difficultés auxquelles la CVJR est confrontée ?

Elles sont nombreuses, mais l’une des difficultés est l’insécurité. Il ya certaines régions du nord du Mali où le déplacement n’est pas possible. Il y a certains villages aussi qui sont sous embargo. A l’heure où je vous parle, il y a des villages qui sont entourés par des mines anti-personnelles, non seulement les équipes de la CVJR ne peuvent pas faire le déplacement et les victimes, mais aussi ne peuvent pas sortir. Le fait que la crise continue a beaucoup empiété sur le travail de la CVJR. Il y a certaines localités (Gao, Tombouctou, Kidal) où les victimes sont avec les bourreaux qui voient la CVJR d’un autre œil comme un organe qui est là pour la dénonciation. Dès que les victimes s’y rendent, il faut s’attendre aux représailles. Il y a des difficultés pour que la CVJR puisse écouter ces victimes là.

Selon vous, quel doit être le rôle de la société civile et les populations dans l’accompagnement du travail de la CVJR ?

Il faut se dire que la société civile et les populations jouent un rôle très crucial. D’ailleurs, ces entités sont à l’avant-garde des travaux de la CVJR. D’abord, dans le monitoring du processus, il faut se dire que ce sont ces entités qui sont là pour la visibilité, pour l’encrage dans la population du processus, la compréhension non seulement même de la justice transitionnelle, mais aussi, le travail de la CVJR. Ça c’est le rôle de la société civile, de la population. Pour avoir une certaine adhésion de la population, la société civile doit mener une campagne auprès des citoyens afin de permettre à ce que le processus soit bien compris, le travail de la CVJR soit bien compris et pourquoi pas nous faciliter l’application, la mise en œuvre des recommandations. C’est pour dire qu’elles sont aussi des actrices de mobilisation, de plaidoyer, de lobbying pour la mise en œuvre des recommandations et de la politique de réparation. La société civile fait de son mieux. D’ailleurs, certains membres de la CVJR sont issus de la société civile et ça c’est pour permettre l’encrage. La société civile travaille. Nous souhaitons qu’elle continue son travail afin que les recommandations qui seront issues de la CVJR soient appliquées. Parce que c’est la société civile qui peut faire pression sur les gouvernants, leur dire que ce que la CVJR vient de vous remettre, il y va de la survie de l’Etat, la survie de la nation, donc, il faut les mettre en œuvre. Les recommandations de la CVJR ne sont pas contraignantes, mais la société civile peut les rendre contraignantes par son appui. C’est là-bas où elle joue un rôle crucial.

Avez-vous un appel ou un message à lancer ?

J’appelle de tous mes vœux à la mise en œuvre des recommandations de la CVJR afin de permettre au Mali de renouer avec une paix durable, la réconciliation et que le Mali puisse sortir de ce cycle de violences, de ces événements tragiques. Je demande à la société civile de mener des campagnes, de mener des plaidoyers pour que les recommandations de la CVJR puissent être mises en œuvre. La CVJR, c’est l’Etat en quelque sorte, mais c’est une structure indépendante. Ce que la CVJR a fait mérite que l’Etat prenne ça au sérieux. Dans certains pays, les recommandations des commissions ont été mises dans les tiroirs, je n’en souhaite pas pour le Mali et c’est pourquoi j’appel de tous mes vœux à l’Etat de mettre en œuvre ces recommandations afin que le Mali puisse sortir de cette crise cyclique.

Propos recueillis par Aguibou Sogodogo

Source : Le Républicain 

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