On s’achemine vers une nouvelle crise franco-algérienne avec toujours les mêmes ingrédients, histoire, visas, mémoire, sur fond de turbulences politiques et crise migratoire. » Ce tweet de l’ancien ambassadeur français à Alger, Xavier Driencourt, résume parfaitement la situation qui prévaut actuellement entre Alger et Paris, où les signes de tensions se multiplient depuis quelques jours.

Le double déclencheur de cette nouvelle crise s’articule autour de la décision de la France de réduire de 50 % les visas octroyés aux Algériens et les récentes déclarations du président Emmanuel Macron lors de sa rencontre, le 30 septembre à l’Élysée, avec des jeunes Français d’origine algérienne, binationaux, et des Algériens pour échanger sur la question mémorielle.

Sur le premier dossier, celui des visas, Alger avait réagi à cette mesure de rétorsion motivée, selon Paris, par le refus algérien de faciliter le renvoi des clandestins chez eux en Algérie. Pour Alger, cette décision est « disproportionnée » et « malencontreuse », et cela a été répété à l’ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette, convoqué aux Affaires étrangères algériennes le 29 septembre pour se faire notifier une « protestation formelle du gouvernement algérien ».

« Rente mémorielle »

Jusqu’au samedi 2 octobre, la situation en était là avant que les événements ne s’accélèrent, installant les « mêmes ingrédients » de litige, pour reprendre le tweet de l’ancien ambassadeur Driencourt.

Accompagné par l’historien Benjamin Stora, Emmanuel Macron rencontre, jeudi 30 septembre, des jeunes issus des communautés ayant un lien fort avec l’histoire franco-algérienne pour débattre et échanger sur la question mémorielle. Sur la réduction drastique des visas, Macron déclare, selon Le Monde : « On va s’attacher à ce que les étudiants et le monde économique puissent le garder. On va plutôt ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant, qui avaient l’habitude de demander des visas facilement. » Ajoutant, en parlant des dirigeants algériens (marocains et tunisiens, également concernés par cette décision) : « Si vous ne coopérez pas pour éloigner des gens qui sont en situation irrégulière et dangereux, on ne va pas vous faciliter la vie. » Mais surtout, ce sont les déclarations du président français sur la question de la mémoire et de la colonisation qui détonnent. Il regrette qu’Alger n’ait pas emprunté le chemin qu’a pris Paris pour affronter son histoire franco-algérienne et dénonce une « histoire officielle » en Algérie, « totalement réécrit[e] qui ne s’appuie pas sur des vérités », mais sur « un discours qui, il faut bien le dire, repose sur une haine de la France ». « La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle […] tout le problème, c’est la France. »

Un « système politico-militaire »

Macron va plus loin : « La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question. Il y avait de précédentes colonisations. Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. Et d’expliquer qu’on est les seuls colonisateurs, c’est génial. Les Algériens y croient. » Et répondant à un jeune Algérois qui lui explique que la jeunesse française n’a pas de haine contre la France, Macron lui déclare : « Je ne parle pas de la société algérienne dans ses profondeurs mais du système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle. On voit que le système algérien est fatigué, le hirak l’a fragilisé. J’ai un bon dialogue avec le président Tebboune, mais je vois qu’il est pris dans un système qui est très dur. » Dix jours auparavant, les deux présidents avaient repris contact par téléphone après un énième coup de froid qui avait duré des mois…

Alger dénonce une « ingérence inadmissible »

Ces sorties de Macron n’ont évidemment pas laissé Alger indifférent. Samedi 2 octobre, Alger rappelle son ambassadeur à Paris, Mohamed-Antar Daoud, pour « consultation », et la présidence algérienne se fend d’un long communiqué critiquant les déclarations du président français aussi bien sur l’histoire algérienne que sur la nature même du pouvoir en place. « L’Algérie exprime son rejet catégorique de l’ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures que constituent lesdits propos », lit-on dans le communiqué. « Les propos en question portent une atteinte intolérable à la mémoire des 5 630 000 valeureux martyrs qui ont sacrifié leur vie dans leur résistance héroïque à l’invasion coloniale française ainsi que dans la Glorieuse Révolution de libération nationale », écrit encore la présidence algérienne.

Côté médias et partis politiques algériens, le ton n’est guère différent. Pour le site d’information 24 heures Algérie, « Emmanuel Macron, en pleine campagne pour un second mandat présidentiel, veut séduire l’extrême droite, s’attaque aux Algériens, refuse de reconnaître les crimes coloniaux. Emmanuel Macron, qui peine à sortir en France sans se faire huer, multiplie les offres de service à l’extrême droite et aux mouvements populistes. » Le quotidien El Watan titre en une : « Le dérapage de Macron », alors qu’El Khabar considère que le président français « a manqué d’élégance et a attaqué l’institution de l’Armée nationale populaire ».

La coopération militaire ciblée ?

« Par sa sortie inédite, le président français a employé des propos irresponsables qualifiant les autorités algériennes de système politico-militaire, tentant de créer la discorde entre les décideurs algériens en distinguant les composants civil et militaire », estime le quotidien Echourrouk, qui prévoit « de dangereuses répercussions sur l’avenir de la relation bilatérale ». « Macron laisse entendre en filigrane de ses piques qu’il pourrait se passer des bonnes relations avec l’Algérie », écrit l’éditorialiste de Liberté.

De son côté, le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), Abderrezak Makri, a qualifié les propos de Macron de « déclaration de guerre contre l’État et le peuple algériens ». « Un président qui ignore l’histoire, arrogant, qui humilie le président algérien et rentre dans une confrontation inédite avec l’ensemble du système politique [algérien] », poursuit le leader islamiste. « [Macron] se comporte avec l’Algérie comme s’il s’agissait d’un pays sans souveraineté […] L’honneur des Algériens est en jeu s’il n’y a pas de position à la hauteur de cette humiliation », conclut Makri.

Samedi soir, des informations, relayées par Russia Today, ont circulé sur la fermeture, par Alger, de son espace aérien aux avions militaires français engagés dans l’opération Barkhane dans le Sahel, « un privilège accordé à la France depuis le règne de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika », selon des sources anonymes citées par ce média russe.

Source: https://www.lepoint.fr/afrique