CAN 2002 : Simplement la meilleure !

Dans ce numéro, L’Essor revient, à travers compte rendus, analyses et interview, sur la phase finale de la 23è édition que notre pays a abritée il y a environ une décennie et qui restera comme l’une des meilleures de l’histoire de la CAN

Mali-Algérie 2-0, un match, deux comportements : L’état de grâce

L’Algérie n’a pas vu le jour face à un Mali euphorique. Qui s’est même permis de rater un carton historique

Dans les années 70, nos amis ivoiriens qui possèdent un sens inimitable du raccourci avaient une expression très imagée pour définir le comportement euphorique de l’équipe qu’ils supportaient. « Les enfants s’amusent », disaient-ils. Les Aigles se sont donc amusés hier (28 janvier 2002, ndlr) pendant plus d’une heure de jeu. Ils avaient inscrit très tôt les deux buts qui les qualifiaient pour les quarts de finale et ils paraissaient habités d’une conviction absolue : celle selon laquelle quoi qu’il arrive les Algériens ne pourraient jamais revenir au score.

Cet état d’esprit les a poussés à toutes les légèretés, à toutes désinvoltures, à toutes les erreurs en défense et à tous les mauvais choix en attaque, sans jamais que ne tombe la moindre sanction. C’est peut-être cela que l’on appelle l’état de grâce. C’est une conjoncture qui fait que l’adversaire par sa fébrilité vous rend la balle que votre négligence vous a fait perdre. C’est une sorte de chance insolente dont nos sélectionnés ont bénéficié pendant toute la seconde mi-temps au cours de laquelle les Fennecs (surnom de la sélection algérienne, ndlr) ont ouvertement abdiqué de tout espoir de réduire la marque. L’absence de Kraouche s’est fait cruellement sentir dans cette mauvaise passe. Contre le Libéria, le teigneux demi algérien avait sonné la révolte contre le sort contraire. Dans son style rageur, il avait inlassablement remonté les balles, haranguant ses partenaires, les poussant continuellement de l’avant et finissant lui-même le travail par un fabuleux tir dans les arrêts de jeu.

UN OCÉAN DE DÉMOBILISATION-

Hier soir (28 janvier 2002, ndlr), l’Algérie était orpheline d’un tel aboyeur. Le capitaine Meftah paraissait trop démoralisé pour rameuter autour de lui ses troupes ; Belbey et Mansouri Yazid montraient la hargne de Kraouche, mais sans sa lucidité, ni son intelligence de jeu ; Dziri Billel inclus à la 40è min avait certainement jugé l’affaire trop mal engagée pour mériter un quelconque sauvetage. Dans ce naufrage collectif, un homme faisait figure à la fois de martyr et de symbole. Nassim Akrour, si brillant devant le Lone star (surnom de la sélection libérienne, ndlr), se retrouva sacrifié seul en pointe.

On le vit pendant plus d’une heure appelé désespérément du geste de ces partenaires. D’abord pour que ceux-ci participent à la récupération d’un ballon que les demis et défenseurs maliens monopolisaient sans rencontrer la moindre opposition. Ensuite pour que quelques éléments fassent au moins l’effort de lui venir en appui dans les phases offensives algériennes (ou ce qui en tenait lieu). Mais ses SOS se perdirent dans un océan de démobilisation et l’on vit ce fin artiste qu’est l’attaquant d’Istres multiplier les bévues techniques inhabituelles pour lui : des déviations de la tête dans le vide, des amortis de la poitrine qui lui expédiaient le cuir sur le bras et des ouvertures en direction de personne.

DEUX ÉPISODES DÉCISIFS-Quand à la 59è minute, Akrour, seul et en position de hors-jeu, croisa à côté du poteau de Mahamadou Sidibé dit Maha (le gardien des Aigles, ndlr) une tête que tout le monde voyait au fond des filets, le stade entier comprit que le mal algérien était irrémédiable.
Quelque part dans leurs têtes, les Fennecs ne se voyaient pas par en train de remonter deux buts et d’aller au bout de leurs forces pour obtenir une victoire qui ne leur garantissait rien du tout. Rabah Madjer (sélectionneur algérien, ndlr), lui-même, après avoir écumé d’exaspération et poussé ses poulains à une réaction d’amour-propre, comprit qu’il courait derrière une cause perdue. Il se cala dans son banc pour ne plus en bouger pendant le dernier quart d’heure. Les Aigles bouclaient donc en roue libre leur match le plus facile des éliminatoires. Après leur prestation impressionnante contre les Super Eagles, presque tous les observateurs s’accordaient à les voir passer ce dernier obstacle, mais personne n’aurait osé pronostiquer une telle liquéfaction du team algérien. Sans nier le poids du collectif, le mérite de ce triomphe revient sans doute en premier lieu à un homme

Mamadou Bagayoko, irréprochable jusqu’au coup de sifflet final, a réussi le rêve de tout bon attaquant : démontrer sur deux épisodes décisifs la palette de ses qualités. Sur l’ouverture du score il eut un geste parfait d’avant de pointe. Recevant dos au but une ouverture de Daouda Diakité dit Darou, il fit un amorti de poitrine, suivi d’un contrôle orienté. Il donna ensuite le coup de rein juste suffisant pour lui permettre de décoller du marquage de Meftah et de déclencher en déséquilibre une frappe croisée qui devança d’une infime fraction de seconde le tacle de Bradja venu à la rescousse. L’estocade portée par l’avant-centre avait la pureté glacée d’une guillotine qui tombe. Quelques minutes plus tard, Bagayoko réussit un autre tir de mystification. S’apercevant que son débordement sur l’aile gauche lui avait attiré l’attention privilégiée du rideau défensif algérien, il adressa un centre en cloche à Bassala complétement démarqué dans l’axe des buts.

L’instantanéité du coup d’œil et la précision du geste de l’attaquant avaient créé une situation rarissime dans un tournoi final de la CAN : la libération d’un incroyable boulevard pour le finisseur qui avait toute la latitude pour choisir la manière dont il exécuterait le gardien de but adverse. Le double exploit de Bagayoko eut un énorme mérite, celui d’éviter que ne s’éternise le «match tactique» qui menaçait.
En effet jusqu’à l’ouverture du score, les Aigles à force de s’appliquer à ne pas se précipiter et à ne pas offrir trop d’espaces aux Algériens avaient facilité la tâche aux poulains de Madjer. Mais à 2-0, la partie changea complétement d’âme. Les Maliens débloqués firent prévaloir leur meilleure technique individuelle, leur mental plus solide et leur condition physique supérieure. Le «laisse guidon» pouvait commencer. Même Cheick Diallo et Kasperczak, après quelques coups de gueule, renoncèrent à remettre de l’ordre dans la maison. Après toute la tension accumulée devant le Nigeria, les enfants avaient bien mérité de s’amuser. Il sera toujours temps de siffler la fin de la récréation.

Source : L’Essor

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