Modibo Kadjoke au sujet de la transition : « Je n’ai pas senti les jalons de la refondation »

La non-création d’un organe unique pour l’organisation des élections, la gestion de la transition, la lutte contre la corruption, l’insécurité, la mise en œuvre de l’Accord pour la paix, voilà entre autres sujets sur lesquels l’ancien ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, président de l’Alliance pour le Mali (APM-Maliko) s’est prononcé dans cette interview exclusive qu’il nous a accordée. Lisez plutôt !

L’Alerte : Comment se porte aujourd’hui le parti Alliance pour le Mali (APM-Maliko) ?

Modibo Kadjoké : Notre parti se porte comme le Mali, nous sommes dans un pays qui est assailli par des difficultés.  Les activités politiques, nous les menons à travers des organisations dans lesquelles nous évoluons. Nous sommes en train de nous préparer pour les échanges à venir, nous continuons  à travers nos réunions à échanger avec d’autres partenaires et renforcer le parti. Régulièrement, nous avons des discussions avec d’autres cadres. Dans toutes les régions, les gens sont en train de travailler.

La classe politique se prépare pour les élections générales de 2022. Dans quelle dynamique votre parti compte aborder cette bataille électorale ? APM-Maliko aura un candidat ?

On va continuer avec les réflexions car dans notre parti, il y a une procédure pour prendre une décision de ce genre. Les décisions sont souvent prises au niveau de la convention. Elles sont discutées au niveau du directoire et validées au niveau du bureau national jusqu’au niveau élevé   où nous déciderons s’il faut présenter un candidat ou s’il faut soutenir un  candidat.  Tout cela sera pris par le parti, mais pour le moment, on n’a pas encore franchi cette étape. Cette question d’une probable candidature unique du M5-RFP, si cela arrivait, APM-Maliko étant membre du regroupement, nous allons examiner ladite question. Nous sommes également  d’une autre organisation au sein du M5-RFP. Il s’agit de l’Alliance pour la refondation du Mali (AR-Mali) dont nous occupons la vice-présidence. Il peut avoir une candidature unique à ARM ou au M5-RFP mais toutes ces questions sont discutées au niveau de notre parti pour qu’on puisse dégager notre position.

Quelle analyse faites-vous du manifeste de l’Imam Dicko ?

J’ai lu le manifeste de l’imam Dicko. Dans ce manifeste, il parle de sa vision politique du Mali et celle de son combat politique qu’il veut mener pour le Mali. Je m’abstiens à  ce que lui-même a dit et l’appréciation  que les uns et les  autres ont faites. Et on verra ce que cela va donner. Il a montré sa disponibilité et exhorté les Maliens à se rassembler. C’est ce que j’ai compris dans cette déclaration.

Il ne s’est dissocié de M5-RFP puis qu’il a montré sa disponibilité. Il est ouvert. C’est ce que je vois dans le manifeste.

Quel commentaire faite-vous de la conduite de la transition par les militaires en terme politique ?

L’analyse que je fais de la transition, je vous dis sincèrement, quand j’ai été reçu par IBK, nous avons eu cette chance de recevoir l’avant-projet de loi constitutionnelle. J’avais demandé au président de la République IBK de consacrer deux ans de son mandat au Mali. C’est comme si je lui avais demandé d’instaurer une transition dans ces 5 années avant la fin de son mandat. Et je lui ai dit qu’il doit ça au Mali car le Mali lui a tout donné. Comme vous le savez, il a été Premier ministre, Président de l’Assemblée nationale, chef de l’Etat.  J’ai dit cela parce que je pense que la transition est une chance car c’est une occasion pour unir les gens. Ce n’est pas un pouvoir qui est là pour sauvegarder ses avantages politiques. Cela n’a pas pu se réaliser avec lui, mais je reste convaincu que la transition est une opportunité si elle reste neutre en rassemblant tous les Maliens. La crise que nous vivons depuis très longtemps, quand vous voulez réellement la résoudre, il faut rassembler les Maliens. C’est cela le travail d’une transition.

Deux transitions en moins de dix ans est un échec de la classe politique. C’est pourquoi la transition doit garder la neutralité, rassembler les gens et faire des reformes pour qu’il n’y ait plus de transition. Si nous ne travaillons pas à cela, nous allons  rapidement dans les élections et la communauté internationale nous impose des schémas. Rien n’indique qu’on a fini avec les crises.

Il faut réellement qu’on analyse la transition pour arrêter le cycle des crises. C’est le seul objectif auquel je crois pour une transition.

Lors de la présentation du Plan d’action du gouvernement, le Premier ministre a indiqué devant le CNT que l’ancienne formule sera maintenue pour l’organisation des élections. N’est-ce pas une décision unilatérale contraire aux recommandations du DNI qui demande la création d’un organe unique ?

J’ai écouté le plan d’action du gouvernement  présenté au Conseil national de la transition (CNT).  J’avoue que sur plusieurs points, je n’ai pas compris qu’on répondait  aux préoccupations en lien avec la crise profonde de notre  pays. Toutes les crises qu’on a connues jusque-là, ce sont des crises liées aux élections et secundo, le  dialogue national inclusif  s’est penché sur cette question. Les concertations nationales ont examiné également la question de l’organe unique pour la gestion des élections.  Troisième point, il y a un cadre de concertation entre le ministre  de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et les partis politiques. Il y a eu trois commissions de travail, toutes les trois se sont prononcées sur l’organe unique de gestion des élections. Immédiatement, deux  ont opté pour  les élections pendant la transition. La troisième a opté pour sa création mais à condition que l’organe unique prendra en charge les élections après la transition.   Compte tenu de tout cela, comment on peut arriver à une conclusion pour dire qu’on ne peut pas créer l’organe unique parce qu’on n’a pas le temps. Je reviens à sa logique. Le premier ministre devait démontrer chronologiquement qu’il ne dispose pas le temps pour mettre en place l’organe unique. Ces décisions doivent être prises dans un cadre de concertation. Le premier ministre ne doit pas décider  seul et l’annoncer comme ça. Quelles sont les difficultés pour mettre en place l’organe de gestion des élections de 2022 ? Cet organe de gestion n’est rien d’autre que les prérogatives de la DGE, de la CENI, une partie du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Toutes ces structures existent déjà, donc je ne vois pas la difficulté de créer cet organe unique de gestion. Moi je vais vous dire au Burkina-Faso, ils ont mis l’organe unique de gestion et dix mois  après le Burkina a tenu les élections.

Pour moi, il y a un déficit de confiance entre le gouvernement et la classe politique. Et dans ces conditions, on aura plus de problèmes et de difficultés. Au niveau de la Cour constitutionnelle, il y a des problèmes également. Pour qu’il n’y ait pas une crise postélectorale, il faut mettre en place une structure qui rassure tout le monde. En prenant les mêmes éléments, on ne peut pas éviter la contestation.

Face à cette démarche unilatérale, la classe politique a-t-elle interpellé le PM ?

Non ! La classe politique ne l’a pas fait, nous avons une mauvaise habitude au Mali. Les gens, sans être d’accord avec des choses, s’en accommodent et avancent. Pourtant, la crise est devant nous et elle est visible. La preuve,  quand on prolongeait le mandat des députés, notre parti a dit non parce que nous pensions à cette époque que cette décision est purement politique. Une décision prise par la Cour constitution qui décrédibilise les institutions.

Nous devons prendre des décisions avec les politiques. Donc la classe politique va s’accommoder. Moi j’ai vu des politiques qui ont dit qu’on n’a pas le temps. Nous avons un exemple de cet organe unique de gestion dans un pays voisin (le Burkina Faso). Pour moi, dans 3 mois ou 6 mois on peut mettre en place cet organe unique de gestion. Les élections de 2021 seront gérées par le ministère de l’Administration territoriale, entre temps on met en place l’organe unique de gestion pour gérer les élections de 2022. Evitons la crise après les élections pour crédibiliser nos institutions et mettre fin au cycle de coup de l’Etat.

Le Premier ministre a dit que le chronogramme est à l’annexe. Je crois avoir entendu cela, mais quand je lis le plan d’action je n’ai pas l’impression que c’est une transition d’un pays en crise. Ce n’est pas le nombre d’activités qui me concerne. Ce sont des choses qu’on commence et qui seront achevées par d’autres. Mais ce sont  les actions prévues dans le plan qui ne répondent pas aux problèmes posés par les crises que nous vivons actuellement. Je pense que le Mali a besoin d’une refondation. Je n’ai pas senti cette vision de refondation dans le plan d’action du gouvernement. Les difficultés sont nombreuses. Aujourd’hui, il y a eu beaucoup d’audits et d’autres sont en cours. Il faut ajouter des    organes sur la corruption.  Quels  résultats ces organes ont donné ? Je crois que nous devons faire une réflexion sur toutes ses questions. Il y a eu également le débat sur la justice, quelle réforme on doit faire ? Je n’ai pas senti les jalons de la refondation.  La priorité de ce gouvernement se résume à travailler pour changer le Mali et les Maliens dans chaque secteur. J’arrive à l’agriculture, les melons viennent de 2000 kilomètres d’ici.

L’année derrière,  la Cmdt n’a pas travaillé et cela a impacté sur beaucoup d’autres choses. Les gens ont posé le problème d’engrais frelatés, mais quels dispositifs les autorités transitoires ont mis en place pour éviter ? Quels dispositifs ont été pris pour ne pas  importer les oranges. Qui ramasse les ordures ? Ce n’est pas l’Ozone, cela veut dire qu’on n’est pas capable de ramasser nos propres ordures et vous voulez qu’on ferme les yeux sur cela. Comment va-t-on créer les emplois ? Pour moi, une transition doit jeter les bases de tout cela. On n’a pas dit de tout faire.  Aujourd’hui, c’est à la transition de faire tout cela pour la simple raison elle qu’elle n’est pas politique.

La lutte contre corruption et la gestion du front social sont-elles conduites avec la méthode qu’il faut par les autorités de la transition ? 

C’est vrai qu’il y a assez d’attaques, il y a également les droits des travailleurs. La transition devait signer un pacte avec ces travailleurs.   Nous avons toujours dit  que les problèmes des travailleurs ne contribuent qu’à aggraver la situation. Pour cela, on avait demandé de négocier un moratoire, demandé à tous les travailleurs pendant toute l’année 2021 de suspendre tous les mouvements de grève.

Et dans ce cadre de négociation, l’Etat aussi va revoir son train de vie et tout le monde verra les limites. Pour moi, il faut jeter les bases  de cette une réforme.  Malheureusement, c’est loin d’être le cas et on avance. Quand un syndicat fait des revendications, on  donne une  solution   et on continue.

La lutte contre la corruption est obligatoire mais je n’ai pas senti cela dans le plan d’action du gouvernement une vision réelle de lutte contre la corruption.

Alors que cela est plus qu’important car il y a beaucoup de ressources qui sont détournés. Cette corruption est en train de s’installer dans notre culture. Il ne s’agit d’arrêter les gens mais mettre en place un dispositif qui va nous emmener à enlever la corruption dans notre culture. Et pour cela, il faut mener une grande réflexion, faire en sorte que le Malien puisse commencer à rejeter la corruption comme dans les pays voisins.  En plus, il faut dématérialiser beaucoup de choses.

A titre d’exemples, le péage est géré dans des pays voisins de manière automatique. On avait cela mais je ne sais pas pourquoi on a enlevé. Pourquoi à l’aéroport on paye à la main et pourtant il y a des machines pour cela. Pourquoi on ne dématérialise pas les appels d’offre. Qu’est-ce qui nous empêche de faire cela. Je ne demande pas à la transition de faire tout cela mais elle doit jeter les bases et un pouvoir démocratiquement élu va changer certaines décisions difficilement parce que ce sont les politiques qui sont à la base de beaucoup de problèmes. Donc la transition est une opportunité pour mettre de l’ordre et amorcer le développement.

La principale préoccupation des Maliens est la gestion de l’insécurité qui gagne le terrain. Sans pour autant apporter la réponse qu’il faut, les autorités de la transition veulent faire plaisir à la France et à la CMA en optant pour la mise œuvre intégrale de l’Accord pour la paix. Quelle est votre analyse ?

Ce problème d’insécurité est un problème global que le gouvernement doit revoir. Dans un passé récent, il y avait des réunions de très haut niveau au moment des attaques d’une certaine envergure. Il est  temps qu’il ait un cadre de concertation pour créer une fois pour toutes un climat de confiance  entre la classe politique, l’Etat et la société civile. La crise que nous vivons  est une crise très complexe. Il est temps qu’on analyse la question. La crise était très loin.   De plus en plus, elle vient progressivement vers Bamako. Elle est en train d’occuper tout le pays. Les gens qui font ces attaques sont dans nos villages. Cette situation demande beaucoup de concertation et un climat de  confiance pour mobiliser la population civile. Puisque que la lutte contre le terrorisme n’est pas militaire  donc il faut cette bonne coordination sur toutes les lignes.    Je ne vois pas un travail de prise de conscience au niveau des populations. Dans les pays voisins, il n y a pas de numéro de téléphone sans identifiant. Pourquoi au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, pour avoir un numéro de téléphone, vous êtes obligé de vous identifier ? Au Mali cela n’est pas le cas.   Pourquoi nos motos ne sont pas immatriculées  comme au Burkina Faso ? Si c’est un problème d’argent, que l’Etat prenne en charge.  Je préfère mettre l’argent dans la prévention que de le dépenser dans la guerre. Parce que c’est avec les motos qu’on attaque.  Donc avec l’immatriculation, la traçabilité est établie.  Je m’attendais à des choses comme cela dans le plan d’action du gouvernement. Qu’est-ce qui nous empêche à faire cela ?

Avant de me prononcer sur l’Accord, je voudrais parler de l’éducation. Le Premier ministre a posé le problème de la refondation du système éducatif.  C’est un débat très important, l’avenir du pays dépend de cela.

Vous savez la compétition entre les pays  c’est comme la compétition entre entreprises. Cela se résume en une compétition entre les hommes. Le pays avance parce qu’il dispose des hommes de qualité ou il reste à la traine par faute de ressources humaines de qualité.  Le Ghana et la Corée du Sud en 1960 avaient les mêmes indicateurs socioéconomiques. La différence aujourd’hui  se résume en un problème de ressources humaines de qualité. Notre système éducatif  à un problème très profond. Tous les acteurs sont là, sauf les plus importants qui sont les patrons entreprises. Une réforme du système éducatif sans les employeurs, c’est l’échec.  Les diplômes ne sont pas l’objectif de l’éducation, le plus important  c’est l’insertion socioéconomique de l’homme.

Cette refondation de l’éducation doit commencer depuis le  premier cycle et la réponse aux besoins du secteur privé. Faire comprendre à nos jeunes que l’insertion professionnelle ne se résume pas à la fonction publique. Montrer leur le chemin de l’entrepreneuriat. Au Mali, tout le monde veut la fonction publique. Il faut changer la mentalité des Maliens. Tout est à refaire dans notre pays  et cela est une chance pour les jeunes. Toutes les écoles du Mali devaient avoir une cellule d’insertion  pour suivre leurs produits.  La plupart des entreprises ont besoin des  techniciens. L’éducation doit former pour les besoins du marché. Aujourd’hui, le marché, c’est l’Apecam, la chambre de mines, le patronnant et la fonction publique. Lorsque j’étais ministre de l’Emploi, j’avais senti ce besoin et j’ai créé un cadre de concertation composé de beau coup de ministères pour cela et ce cadre doit être réactivé. Ce cadre était composé du ministère de l’Emploi, l’Education nationale et le secteur privé avec la collaboration de la primature. Ce qui permettait d’échanger et d’adopter les programmes en fonction des besoins.

Le Mali a signé beaucoup d’accord de paix. Il faut évaluer tout. L’accord que nous avons actuellement  a été signé  dans un cadre assez particulier. Souvent, c’est aussi le problème de nous les hommes. Vous venez avant moi, vous ne réussissez pas une chose, je viens et je veux vous prouver que je fais mieux que vous. Même dans les négociations avec les syndicats, c’est ce qui se passe.  On accorde pour faire croire qu’on fait mieux que son prédécesseur.   Il y a des délégations qui sont parties en Algérie  pour parler au nom du peuple malien.  Ces délégations ont été accueillies par le pays  frère de l’Algérie pour discuter avec des groupes armés qui étaient là. L’objectif  était  de trouver un terrain d’entente. Certainement  que le président voulait coûte que coûte retourner avec un accord. Mais dès qu’on a eu cet accord, il y a eu aussi des niveaux par lesquels l’Accord doit passer pour que cela puisse être un document  qui prend en compte les préoccupations  de tout le pays. L’Accord devait faire l’objet d’une discussion au niveau de l’Assemblée nationale puis qu’il concerne tout le Mali. Cela n’a pas été fait. Les engagements pris par le président vont jusqu’à changer notre constitution. Et depuis un moment, dans toutes les discussions,  les gens disent qu’il faut relire l’Accord. Dans le plan d’action du gouvernement, il a mis  très rapidement ça au début et parlé de la vulgarisation alors qu’il y a problème. Le problème de l’Accord n’est l’appropriation mais le contenu. Je pense réellement  que si nous sommes tous Maliens, il y a des aspects de l’Accord qu’on doit revoir entre nous. Si la transition a les moyens de réviser la Constitution et ne pas être en mesure de de relire l’Accord, il y a donc un problème. Cela veut dire que  c’est un document supérieur à la constitution. Il faut tenir compte de la continuité de l’Etat. Quand les engagements sont pris, il faut travailler à les appliquer ; il y a eu la conférence d’entente nationale, le dialogue national inclusif, des concertations. Quand on est dans la transition, c’est toujours le Mali et je pense que ces documents doivent être nos sources d’inspiration. Et la force de la transition, c’est d’avoir le peuple derrière elle. Et c’est ensemble qu’on peut faire changer les points de vue de la communauté internationale. Mais si nous suivons seulement la vision de la communauté internationale en oubliant les problèmes, les frustrations du peuple  créent une nouvelle situation qui va ouvrir la voie à d’autres crises. Je crois que nous sommes à un niveau où tout le monde doit travailler à cela.

Interview réalisée par Nouhoum DICKO

Source: L’Alerte

 

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